« Il ne suffit pas d'accompagner le monde tel qu'il est »

septembre 2017 | PAR Michel Gairaud, Rafi Hamal
Écoutez l'émission:
Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
Benoît Payan, président du groupe PS à la ville de Marseille, invité de la Grande Tchatche

Quelle attitude devrait adopter le PS vis-à-vis du gouvernement ?
Un des problèmes majeurs du PS est le manque de clarté. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas transiger avec Emmanuel Macron en disant : « On verra bien au cas par cas. » Nous ne devions pas voter la confiance au gouvernement. Comment, en tant que socialiste, peut-on avoir une seconde un doute sur le fait qu’il faille défendre le code du travail ? Ce n’est pas fait pour emmerder les patrons, mais pour protéger les salariés.

Assiste-t-on à une dérive social-libérale du PS ?
Il n’est pas possible d’arriver au pouvoir en disant : « Nous ne pouvons pas faire grand chose, mais nous allons essayer d’atténuer les méfaits de la mondialisation », alors que celle-ci broie tout sur son passage. Les partis socialistes européens n’ont pas compris qu’il ne suffisait pas d’accompagner le monde tel qu’il est, mais qu’il faut penser à demain. Depuis quand n’avons-nous pas mené une bataille d’idées ? Nous avons vécu sur notre histoire et sur nos acquis…

Et vos anciens camarades de la région, Christophe Castaner en tête, qui sont passés à En Marche ! ?
Ils se sont perdus. Quand on a été socialiste, aller accompagner le gouvernement de Macron en pensant qu’on est moderne, c’est au mieux de la dispersion, au pire une trahison.

Pourquoi ne pas avoir quitté le PS comme Benoit Hamon que vous avez soutenu dès le 1er tour de la primaire ?
Je comprends que Benoît, par acrimonie, n’ait pas voulu continuer dans un parti qui l’a trahi. Certains m’ont fait honte, en se montrant indignes d’être socialistes : sous prétexte que leurs amis auraient perdu une primaire, ces gens-là ont massacré Benoît. Il apportait pourtant du nouveau : le revenu universel, la critique du productivisme. Mais je regrette qu’il soit parti, j’aurais voulu qu’il reste pour combattre à ses côtés…

Les socialistes peuvent-ils se remettre en ordre de marche d’ici votre prochain congrès ?
Nous n’allons pas refaire la ligne du PS en six mois, alors que cela fait trente ans que nous ne le faisons pas. Donc de ce congrès il faut sortir le moins mal possible. Déterminons si nous sommes encore en phase avec la Vème République, je ne le crois pas. Voyons ensuite si la croissance indéfinie, l’industrialisme, sont les seuls horizons du socialisme, je ne le crois pas.

Ne risquez-vous pas d’en revenir à une synthèse molle ?
Le socialisme est aussi une histoire de synthèse. La gauche est au pouvoir quand elle fait la synthèse entre les formes les plus radicales de ses forces et les plus réformatrices.

En attendant, c’est Mélenchon qui profite des divisions du PS…
Mélenchon refonde le champ politique. Entre 2012 et 2017, il est passé d’un prisme « droite contre gauche » à un prisme « populisme contre oligarchie ». Il théorise le populisme démocratique en disant : « J’ai envie d’inverser les paradigmes et de donner plus d’horizontalité à la relation entre le peuple et le politique : je ne suis pas un César, je ne suis que l’instrument du peuple. » Et il n’y a qu’à voir le mutisme des socialistes pour comprendre qu’il a le champ libre.

Les Insoumis à Marseille, amis ou ennemis ?
Il y aura des projets sur lesquels nous serons d’accord. Sur toutes les questions environnementales, sociales, sociétales, de patrimoine, les socialistes – indépendamment du parti socialiste -, les Insoumis, les Verts, les communistes peuvent avoir des réponses communes.

Tous unis contre les grands projets de la droite municipale ?
Elle a depuis longtemps abandonné l’idée de transformer la ville. Jean-Claude Gaudin affiche cinquante-cinq ans de présence au conseil municipal. La droite sortira de ce mandat avec vongt-cinq ans de pouvoir absolu et un bilan très compliqué à porter : des quartiers très pauvres, la ville la plus embouteillée de France, une des plus polluées aussi, où les services publics sont catastrophiques et la pression fiscale extrêmement élevée. L’argent public part dans des infrastructures luxueuses alors que les écoles sont délaissées, les équipements sociaux inexistants, les équipements sportifs à l’abandon. Le Vélodrome, c’est 15,8 millions d’euros versés annuellement pendant trente-cinq ans à Arema pour avoir refait le stade (11,5 millions d’euros en réalité, sans compter le loyer versé par l’OM et 20 % des recettes de billetterie.Ndlr).

Que pensez-vous de la politique municipale de grands événements ?
C’est du bling-bling. Marseille capitale européenne de la culture était un vrai label, ça a marché grâce à l’accompagnement des services de l’État et de l’Union européenne. Le reste, ce sont des labels favouilles : le label capitale européenne du sport est bidon, c’est un Italien qui vend ça 300 000 € (montant du budget du dossier de candidature présenté à l’Association des capitales européennes du sport, Ndlr). Il n’y a pas un euro de fonds européens ou nationaux. Pas un stade n’a été rénové, pas un euro n’a été donné à des associations qui s’occupent des gamins dans les clubs.

Êtes-vous favorable à la promesse de Macron d’exonérer 80 % des ménages de la taxe d’habitation ?
La taxe d’habitation est un impôt particulièrement injuste à Marseille. Ici (où l’émission est enregistrée dans le studio de Grenouille à la Friche de la Belle-de-Mai, Ndlr), dans le 3ème, l’un des quartiers les plus pauvres, pour la même surface la taxe d’habitation est plus élevée que dans le 7ème. C’est un truc de fou : ce sont les gens qui vivent dans les quartiers les plus défavorisés qui payent le plus ! Mais il ne faut pas non plus amputer dès demain des collectivités qui, quand elles fonctionnent bien, sont de vrais boucliers sociaux.

Vous êtes mobilisé pour la préservation des vestiges de la Corderie. Le patrimoine, c’est un vrai enjeu ?
Marseille se vit comme une cité-état, avec vingt-cinq siècles d’histoire, mais a souvent oublié son passé. La municipalité a massacré, pour faire le collège du Vieux Port, un théâtre antique qui aurait pu ressembler à Taormine ; a massacré des vestiges archéologiques pour faire un parking au centre bourse ; et va massacrer la seule carrière antique en centre-ville à ciel ouvert d’Europe. C’est le premier témoignage de la construction de la ville par les Phocéens. Et bien pour la municipalité, le mieux que l’on ait à faire c’est y construire un immeuble à 8 000 € le mètre carré, alors qu’il y a 36 000 logements vacants.

L’enquête en cours de la brigade financière au domicile de Samia Ghali prouve-t-elle que le PS marseillais n’en finira jamais avec l’affairisme ?
Je fais la différence en regardant qui est condamné ou qui ne l’est pas, sinon on fait du populisme en mettant tout le monde dans le même sac. Mais les affaires sont insupportables. Le fait de les dénoncer m’a coûté d’avoir des candidats de la Force du 13 contre moi parce que je n’ai pas mis un genou à terre devant Jean-Noël Guérini : je voulais qu’il s’en aille de la présidence du Conseil général parce que sa situation politique, personnelle et judiciaire ne lui permettait plus d’assurer son mandat.

Jean-David Ciot est-il un bon 1er secrétaire dans les Bouches-du-Rhône ?
J’essaye d’être un garçon raisonnable, mais je ne peux pas tout accepter. Il a soutenu Macron ouvertement en faisant la guerre à Benoît Hamon. Il faut qu’il s’en aille. Jean-David Ciot, c’est de l’histoire ancienne, il ne pourra plus représenter le PS, même s’il s’accroche. Moi, je ne suis candidat à rien. Je ne cumulerai plus de mandats…

Propos recueillis par Michel Gairaud, Rafi Hamal et mis en forme par Sébastien Grob