« Ne jugez pas si vous ne voulez pas être jugé »

octobre 2021 | PAR Sébastien Boistel
Contrôle technique des obsèques de Bernard Tapie à Marseille, qui ont commencé le 7 octobre au stade Vélodrome pour se poursuivre le 8 octobre à la cathédrale de la Major avant l'inhumation au cimetière de Mazargues.

Les jours d’avant

« Réussiiiiir sa viiiiie ! » Le tube de Nanar tourne en boucle depuis que Bernard Tapie a cassé sa pipe le 3 octobre. Réussir sa vie, la belle affaire ! Mais sa mort ?! Pas simple.

5 octobre

Après « Bebel », les obsèques de Tapie s’annoncent dantesques. Au grand dam d’Orange, le Vélodrome a d’ores et déjà été rebaptisé du nom du « boss ». Pour savoir comment les obsèques vont se dérouler, après avoir fait chou blanc à La Provence où il était pourtant le patron, comme Nanar va faire un crochet par la Major avant d’être enterré chez Gaudin, le Ravi contacte l’archevêché, presque soulagé qu’on ne l’embête pas avec le rapport Sauvet. Mais la chargée de com’ botte en touche : « Oui, la cérémonie, c’est nous, mais la gestion des journalistes, c’est la ville. » Qui semble ravie de superviser des obsèques. Mais, avec le protocole, pas de place pour la gaudriole : pour être accrédité, c’est un mail qu’il faut envoyer.

7 octobre

Alors que la veille, c’est dans la ville de naissance du défunt – Paris – que le cercueil a commencé son tour de France, pas de nouvelles de la mairie. Qui finit par répondre : « On a bien reçu la demande ! Un espace est prévu sur le parvis de la cathédrale mais, à la demande de la famille, il n’y aura pas de journalistes à l’intérieur ! » Prêts à nous grimer pour accéder au saint des saints, nous demandons à nos voisins de la radio chrétienne RCF s’il n’existe pas, du côté de l’évêché, une porte dérobée : « Il n’y aura pas de journalistes. Mais notre rédacteur en chef sera sur France 3 pour commenter la messe. » Façon match de foot ?!

16:00

Au milieu des escaliers du Vélodrome, une sorte de mausolée : Tapie en photo, ballon à la main, façon penseur de Rodin. Au frontispice du stade, en blanc sur noir : « Hommage à Bernard Tapie ». La queue s’étire jusqu’aux marches pour remplir les registres de condoléances. Khalifa l’a fait « trois fois ». Avant d’accéder à la tribune Jean Bouin, cette gueule cassée qui a l’OM dans la peau et dans le dos trompe son ennui en embêtant l’équipe de BFM avec son célèbre cri de guerre : « Pas de faux-semblants ! »

16:20

Deux dames s’offusquent qu’un cuisinier cathodique ait dit qu’il n’est pas question de donner au stade le nom d’un « escroc », proposant plutôt les Baumettes. le Ravi pouffe. Regard noir du duo : « Un peu de respect ! Chacun pense ce qu’il veut. Mais il aurait pu attendre ! »

16:45

Premières ( ?) bières, premiers « fumi », les supporters transforment les marches en tribune, sortent un étendard à la gloire du « boss » et donnent de la voix : « Qui ne saute pas n’est pas Marseillais ! » Résultat : Khalifa se ramasse dans l’escalier. Un policier municipal sort de sa réserve et un appareil photo. Des automobilistes accompagnent la liesse à coups de klaxon. Des milliers de personnes s’apprêtent à se masser dans un stade où trônera un cercueil. L’heure pour le Ravi d’aller récupérer sa marmaille à l’école. Et impossible de retourner au Vélodrome : « Y’a quoi ? Un match ? Non ?! Un cercueil !!! Pas question ! » On se console en se disant que même le stadier, à l’entrée, trouvait, lui aussi, que, pour des gosses, c’est peut-être pas une bonne idée.

8 octobre

09:00

Sur le Vieux-Port, la bonite est à 10 euros et les supporters 13 à la douzaine. Ils seront des milliers en procession vers la Major. le Ravi, maître dans l’art du déguisement, est tout de noir vêtu, affichant un discret mais efficace pin’s de l’OM. Direction la cathédrale dont le parvis, avec les barrières, a des allures de labyrinthe. Le listing des invités utilise toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Et le responsable du protocole prévient : « On va bientôt ouvrir. Pas de bousculade. Pas de photo. Et pas de journaliste ! » Carnet de notes dans la poche et enregistreur dans l’autre, nous passons sans encombre.

10:00

Le chœur se fait la voix, l’orgue ses gammes et notre voisin des pieds et des mains pour attérir dans le carré VIP : il aurait connu Séguéla, Tapie, sa mère, et se voit refoulé. Ses coups de fil sonnent dans le vide, Samia Ghali, adjointe au maire en charge « de la stratégie municipale » lui met un vent. Et une mamie agacée l’achève : « Si vous connaissez tout le monde, pourquoi avez-vous été refoulé ? Vous êtes juste un ancien quelque chose qui n’a plus d’importance. » Pendant ce temps, dans la travée centrale, c’est le défilé. Et l’applaudimètre est parfois cruel : Dominique Tian, ex 1er adjoint LR de Jean-Claude Gaudin, a une seule fan, le maire PS Benoît Payan, une poignée, Christophe Castaner (LREM), de beaux restes et Jean-Louis Borloo (UDI), une popularité jusqu’à peu insoupçonnable !

11:00

Mais, même en boîte, le « boss », c’est Nanar ! Standing ovation à l’arrivée du cercueil. Las, l’acoustique est si mauvaise qu’on ne comprend pas un traitre mot du discours du patron LR de la Région, Renaud Muselier. Borloo, c’est pas mieux sauf à répéter : « La plus belle histoire d’amour, Marseillais, c’est vous ». Par SMS, notre red’chef, passé par la presse catho, ricane : « Les voies du seigneur sont impénétrables. »

11:37

Ça s’arrange avec Ghali, saluant celui capable de rassembler « hauts fonctionnaires, chefs d’entreprise et le Marseille populaire. Tu étais l’homme qui savait parler à tout le monde. Ici, tu as trouvé la paix. Les Marseillais ne t’ont jamais jugé, jamais dénigré . » Peut-être grâce à cette « étoile que tu es allé chercher. Et qui est là, indélébile ». Payan lui aussi rend hommage à cet « enfant de Marseille » qui, comme la ville, « ne laisse personne indifférent ». Et se souvient de « ce soir de mai 93 quand tu as porté Marseille au sommet. J’avais 15 ans. »

11:50

Place aux proches. D’abord le petit-fils de Tapie, Rodolphe puis le pasteur Marcel qui, l’ayant accompagné jusqu’au bout, le compare au « David qui a combattu Goliath. Alors prenez-le en exemple » !

12:20

L’archevêque Jean-Marc Aveline, lui, se veut plus précautionneux : « Ne jugez pas si vous ne voulez pas être jugé. Ne condamnez pas si vous ne voulez pas être condamné. » Et de se montrer plus nuancé : « Bernard Tapie a tutoyé les sommets comme les abîmes, connu les salons comme les cellules de prison. » Et d’évoquer « la part d’ombre » de celui qui « est né dans le tiroir d’en bas ». Mais aussi… le ballon rond ! « On dit à Marseille, que quand l’OM va, tout va. Et l’on sait que la force d’un club ne vient pas des milliards mais du peuple. Chacun puise dans cette communion. » Tout en rappelant qu’« au-dessus du stade, il y a la Bonne Mère ». Et le voilà à imaginer que si Jésus avait joué au foot, « il aurait été milieu de terrain pour apprendre à jouer collectif ». A deux doigts du hors- jeu, l’archevêque retombe sur ses pieds. Le tir est cadré : « Nous sommes tous des pècheurs. Prions donc pour le repos de l’âme de Bernard Tapie. C’est avec Dieu qu’il doit relire sa vie, avec ses ombres et ses lumières. Et Dieu seul jugera. Nous pouvons seulement demander au Seigneur d’avoir pitié. De lui. Et de nous. » Amen !

12:40

Ça sent la fin. La quête commence, les prières se succèdent jusqu’à la distribution d’hosties. Ça fait la queue comme la veille au Vélodrome.

12:50

Grégoire, un autre petit-fils de Tapie, vient lire un texte qui est un « classique » : « La mort n’est rien. » L’archevêque, lui, vient rappeler que, face à elle, on n’est pas tous égaux : « Il y a quelques jours, on a célébré les obsèques de Charlotte. Elle avait 14 ans. Elle est morte parce qu’il y a eu un incendie dans l’appartement du dessous. Les fumées l’ont intoxiquée. Et son père était parti chercher son petit frère à l’école. De Charlotte, les médias n’ont pas beaucoup parlé ! »  De Bernard en revanche… Mais pas de quoi casser l’ambiance. Pour accompagner le cercueil du « Boss » jusqu’au parvis où il sera acclamé par des milliers de supporters, l’orgue s’enflamme avec le tube de Queens : « We are the champions ». On l’aura en tête toute la journée. Merci Bernard !

De haut en bas, croqués par Trax : Bernard Tapie du temps de sa splendeur à l’OM ;  Samia Ghali, adjointe au maire (divers gauche), lors de l’enterrement ; l’archevêque Jean-Marc Aveline qui officie à la cathédrale de la major.

Bernard Tapie

Né le 26 janvier 1943 et mort le 3 octobre 2021 à Paris

Chanteur, homme d’affaires, patron de l’OM, ministre (de la Ville), député et conseiller général des Bouches-du-Rhône, député européen, animateur télé, acteur, patron de presse (La Provence), justiciable, malade.

Affaires : Châteaux de Bokassa, Adidas-Crédit Lyonnais, OM-VA, Testut, Phocéa…

Incarcération : 8 mois ferme (dont deux en semi-liberté) d’abord à la Santé, puis à Aix-Luynes et enfin aux Baumettes

Marié

Quatre enfants

Lieu de sépulture : cimetière de Mazargues (Marseille)

La cérémonie testée par le Ravi

Messe à la cathédrale de la Major

Public : plusieurs milliers à l’extérieur, plusieurs centaines à l’intérieur

VIP : une bonne centaine d’hommes politiques, fonctionnaires, chefs d’entreprise, etc…

Journalistes : des dizaines à l’extérieur mais, à l’intérieur, en clandé, le Ravi !

Durée de la cérémonie : 2 heures 15

Temps de parole des politiques : 45 minutes

Temps de parole de la famille : 15 minutes