La CCI revendique son enfant maltraité

février 2022 | PAR Eric Besatti (L'Arlésienne)
Récupérer son enfant confisqué par la justice après l'avoir brutalisé ? C’est ce que vise la Chambre de commerce et d’industrie d’Arles en voulant reprendre le Cipen, son organisme de formation, placé en redressement judiciaire. En accès libre, l'article, publié en 2019, qui nous a valu, en décembre 2021, un procès bâillon de la CCI. Et une relaxe le 8 février 2022 !

« Comment est-il possible que les responsables de la difficulté d’une activité peuvent eux même déposer une offre pour la reprendre auprès du tribunal, c’est illégal ! », s’étonne Dominique Esclar, président de l’Asofa, l’Association de soutien des organismes de formation en Pays d’Arles, créée cet été. Ses griefs sont adressés à la Chambre de commerce et d’industrie du Pays d’Arles qui souhaite réintégrer ses écoles dans le giron consulaire, PFC pour la formation continue, Ira pour les certifications industrielles et l’école prestigieuse d’image numérique : le Mopa.

Pourtant, il y a trois ans, la chambre créait l’association Cipen – Cluster d’innovation pédagogique et numérique – pour rendre indépendants ses organismes de formation et permettre leur développement sur des marchés concurrentiels. « Mais dès la rédaction des statuts, la CCI s’octroyait la présidence de l’association et la présence obligatoire de son directeur à toutes les réunions stratégiques, déballe Dominique Esclar. Dans les faits, c’est le président de la CCI qui décide de la stratégie du Cipen. » Avant de citer l’article L642-3 du Code du commerce : « Ni les dirigeants de droit ou de fait de la personne morale […] ne sont admis à présenter une offre. » Stéphane Paglia, le président de la CCI s’en défend dans La Provence : « la CCI était impliquée, car elle siégeait au Conseil d’administration, mais n’était en aucun cas majoritaire » (1), oubliant au passage que la présidence revenait à la chambre. « J’ai failli m’étouffer quand j’ai lu ça, s’insurge Paulette Canale, représentante du personnel. Ils jouent sur les mots, ils ont toujours été majoritaire au moment du vote, par un truchement des délégations de pouvoir des élus de la CCI Régionale absent et en plaçant leurs amis au collège des entrepreneurs locaux. Les collèges élus locaux et éducation nationale n’étaient jamais là. »

Légalité contestée

Mais tout se passe comme si les autorités s’asseyaient sur le Code du commerce. Cet été, une réunion s’est tenue en mairie pour aborder l’avenir du Cipen. « Pourquoi la presse est au courant ? C’était une réunion privée, informelle », s’étonne-t-on dans l’entourage du maire. Pourtant, il n’y manquait aucun officiel autour du président de la CCI Stéphane Paglia : Ni Hervé Schiavetti (PCF), le maire d’Arles, ni Nicolas Koukas, le conseiller départemental (PCF), ni Cyril Juglaret (LR), le conseiller régional, ni David Grzyb (SE ex-PS) le vice-président de la communauté d’agglomération ACCM. Ni même le Sous-préfet d’Arles, Michel Chpilevsy, autorité de tutelle de la CCI d’Arles.

Lors de cette réunion, il a été acté que la mairie d’Arles allait appuyer l’offre de reprise de la chambre consulaire et allait solliciter l’aide des différentes collectivités. Et la loi dans tout ça ? « Le maire a la volonté de garder le Mopa sur le territoire. Si un repreneur privé récupère l’école, qui dit qu’il ne va pas la déménager à Paris ? », explique-t-on au cabinet du maire. « C’est une école créée sur fonds publics en 2000, il est légitime que la force publique puisse conserver son joyau, justifie David Grzyb. Nous aurions dû, selon moi, porter une offre de reprise depuis les collectivités territoriales avec ou sans la CCI qui est à l’origine des difficultés actuelles. » Dominique Esclar de l’Asofa ne décolère pas : « tout est arrangé à l’avance pour que la CCI puisse continuer à conserver ses organismes de formation. Pourtant, il existe d’autres offres pour reprendre le Cipen, dont certaines s’engagent à rester implanté à Arles. »

Management brutal

Pendant ce temps, c’est la guerre en interne au Cipen. Entre les salariés qui se rangent derrière la CCI et ceux, qui souhaitent poser des questions, l’ambiance est à couteaux tirés. Laurent Romo (2) a été remercié en juin après sa période d’essai : « On m’a viré parce que j’étais gênant. J’étais attaché à la gestion associative du Cipen. En comité de direction, j’ai posé une question sur les conditions en cas de réintégration à la CCI, ça n’a pas plus à la présidente, Julie Escalier, vice-présidente de la CCI. Le directeur m’a dit ensuite que j’étais un risque potentiel pour l’avenir du Cipen. C’était un signe pour le reste des salariés pour dire qu’ils étaient prêts à tout pour garder le contrôle. »

Ce formateur en automation industrielle avait un planning plein. Du coup, depuis juillet, la direction du Cipen fait appel à des sous-traitants, donc avec un coût plus cher qu’avec un formateur maison. « Ils s’en moquent, ils préfèrent garder le contrôle et ne se soucient pas du travail des équipes, ni des clients qui s’étonnent du turn-over. Ils font la stratégie de la terre brûlé pour pourrir les bilans et qu’ils soient les seuls à présenter une offre. » Laurent n’est pas la première tête à valser au sein de la structure. Depuis l’arrivée de Stéphane Paglia à la tête de la CCI d’Arles en 2016, le directeur du Mopa a été remercié, un autre directeur, celui de la branche « formation continue » est en arrêt maladie comme un autre responsable de filière. « Ils s’en foutent de l’intérêt collectif, crache Alain Chaix, l’ancien directeur du Cipen, lui aussi licencié. Les gens à la tête de l’établissement public s’en servent comme faire valoir, le Mopa, ça fait bien pour la communication. »

L’Asofa pilonne : « Compte tenu des pièces comptable en notre possession nous sommes amenés à penser à un délit de banqueroute ! La CCI aurait organisé la faillite du Cipen. » Son président, Dominique Esclar, n’est autre que le mari d’Anne Brotot, l’actuelle directrice de l’école Mopa. Essaye-t-elle d’alerter indirectement de la situation ? « La CCI loue les bâtiments des écoles à l’association en pratiquant des loyers disproportionnés et se sont appropriés la marque Mopa en gardant sa propriété… », accuse Dominique Esclar. Certaines difficultés financières actuelles pourraient venir du traité d’apport, pourtant validé par la présidente du tribunal de grande instance de Tarascon, rédigé à la création du Cipen par la CCI d’Arles. Tous les regards sont désormais tournés vers la justice. Début octobre, le juge donnera le nom du repreneur. Et comme l’explique un expert juridique fin connaisseur du dossier : « la CCI peut déposer une offre, mais elle peut ne pas être recevable ! ».

1. La Provence, 30 août 2019

2. Il ne souhaite pas que son nom apparaisse sur les moteurs de recherche pour « conserver une chance de retrouver un emploi ».

3. Plus d’infos : larlesienne.info

Cet article, publié en septembre 2019, a fait l’objet d’un procès, en décembre 2021, contre son auteur, son dessinateur et le Ravi suite à une plainte en diffamation de la CCI d’Arles. Le tribunal de Tarascon a prononcé une relaxe le 8 février 2022, reconnaissant le sérieux de l’enquête, sa légitimité, et notre droit à la satire. Mais les frais de justice – près de 5000 euros – restent à notre charge. Un journal libre ne s’achète pas, il se finance : abonnez-vous au Ravi !