Odel Var : la justice sur le pont

mai 2021 | PAR Samantha Rouchard
Alors que le parquet entend ouvrir une information judiciaire sur l'Odel Var, l'association varoise, qui a porté plainte pour diffamation contre le Ravi, fait trainer en longueur les procédures prud’homales face à ses anciens salariés.

« Nous sommes en train d’exploiter les éléments de l’enquête qui nous ont été fournis par la section de recherche de la gendarmerie de Fréjus, et de préparer le réquisitoire introductif afin d’ouvrir une information judiciaire », explique Patrice Camberou, procureur de la République du tribunal de Draguignan. « Compte tenu de la sensibilité du dossier », le magistrat ne souhaite pas en dire plus avant d’avoir terminé d’étudier tous les éléments. Mais au moment où nous bouclons notre article, la désignation d’un juge d’instruction, pour se pencher de près sur le cas de l’Odel Var et de ceux qui sont à sa tête, serait imminente…

Quatre ans après notre première enquête «Les élus d’abord, les enfants après » publiée en mai 2017, qui fait l’objet d’une plainte en diffamation toujours en cours, dans laquelle nous nous interrogions sur le fonctionnement de l’Office départemental d’éducation et de loisirs varois présidé par l’ancienne députée LR Josette Pons et dirigé par le conseiller départemental LR Marc Lauriol, c’est au tour du parquet de s’intéresser à cette association loi 1901 qui gère la majorité des accueils de loisirs du département. Et qui, pendant de nombreuses années, comme l’épingle en 2016 un rapport de la Chambre régionale des comptes (CRC) sur la gestion du Conseil général du Var, a perçu pas mal d’argent public, sans réel contrôle de ce qui en était fait, soit 20 millions d’euros de 2009 à 2014.

Notre article s’interrogeait aussi sur la création, à l’époque, de sociétés privées autour de l’Odel dont elle semblait être propriétaire comme Gestipark, plus connu sous le nom de Pirates aventures, parc à thème situé dans la zone commerciale de l’Avenue 83, à La Valette-du-Var. Mais après avoir emprunté 2,5 millions en 2017 pour faire tourner la boutique de 2000 m2, l’Odel l’a revendu en catimini en janvier 2020 à Altera Cogedim, propriétaire du centre commercial. Pour combien ? On ne le sait pas puisque ni Marc Lauriol ni son avocat n’ont répondu à notre demande d’interview (1). Selon ce que déclarait le directeur général à Var-Matin, au lendemain de la vente, Altéra Cogedim aurait fait une « proposition intéressante ».

Direction procédurière

Dès 2017, suite au moins à trois dépôts de plainte dont un auprès du Parquet national financier (PNF), la gendarmerie de Fréjus a ouvert une enquête sur le fonctionnement de l’Odel Var. Retardée par la pandémie, elle vient de s’achever et ses conclusions sont assez probantes pour qu’une information judiciaire soit envisagée, et qui porterait notamment sur des soupçons de détournement de fonds publics et de prise illégale d’intérêts. Fin 2019, certaines de nos sources ont été entendues par la brigade fréjusienne. « Les gendarmes étaient déjà au courant de beaucoup d’éléments. On a enfin eu l’impression d’être pris au sérieux », confie l’une d’entre elles.

Notre dernier article, « De l’Odel sous les ponts », paru en février 2018, a valu également au Ravi un second procès intenté par l’association varoise et sa DRH pour diffamation, que nous avons gagné en première instance (jugement du 19 décembre 2018) et qui est définitif. L’Odel Var semble assez procédurière, même avec ses anciens salariés. Cinq d’entre eux sont toujours aux prud’hommes avec leur ex-employeur pour licenciement abusif depuis cinq ans. Et l’Odel aime à faire traîner les choses…  A Toulon, l’association a été condamnée en première instance à verser 60 000 euros de dommages et intérêts à l’une de ses ex-salariées. L’Odel a fait appel et a de nouveau été condamné à Aix-en-Provence, sa proposition de reclassement ayant été jugée indécente.

Qu’à cela ne tienne, l’association varoise vient de se pourvoir en cassation. Depuis son licenciement, l’ex-salariée toujours au chômage se retrouve désormais à devoir payer en plus de ses frais d’avocat habituels, ceux d’un avocat de cassation, au moins 3000 euros. Cette procédure n’étant pas suspensive, elle a mandaté un huissier pour récupérer la somme due par l’Odel. « Je sais que si je perds je devrais rendre l’argent, mais à l’heure actuelle j’en ai besoin pour payer les dettes accumulées depuis cinq ans de procédure », précise-t-elle. Pour maître Dany Cohen, son ancien avocat, le pourvoi en cassation concernant des affaires prud’homales « n’est pas courant mais fréquent », surtout quand l’employeur « a les moyens financiers de gagner du temps ».

Des ex-salariés en attente

Concernant les trois anciens salariés rattachés aux prud’hommes de Draguignan, là aussi Lauriol joue la montre. Il a d’abord tenté de faire dépayser les affaires sous prétexte que l’ancien directeur général adjoint de l’Odel y siégeait. L’Odel a d’ailleurs été condamné à une amende forfaitaire pour cet abus par la cour d’appel d’Aix. Jean-Louis B., licencié en 2016, a lui aussi gagné en première instance en octobre 2020. L’Odel, alors condamné à lui verser 100 000 euros, a décidé de faire appel. L’audience est fixée au 8 juin prochain. « Si comme pour mon ex-collègue, l’Odel choisit d’aller en cassation, je recommencerai tout. Je ne lâcherai rien ! Ce n’est même plus une question d’argent mais d’honneur ! », insiste l’ancien salarié, à bout. Ses deux ex-collègues sont quant à elles toujours en attente du délibéré de première instance depuis fin 2020, pour cause de manque de greffiers aux prud’hommes de Draguignan. L’Odel a aussi perdu en première instance contre l’ex-beau-frère de Marc Lauriol pour licenciement abusif et travail dissimulé. Ce dernier étant payé par l’association pour faire les campagnes électorales de ses élus dirigeants. Là aussi l’Odel a fait appel. « Nous sommes toujours en attente du délibéré », souligne Stéphanie Royère, avocate de l’ex beau-frère qui s’inquiète de la réputation « pro employeurs » de la présidente de la cour d’Appel d’Aix-en-Provence de la chambre concernée.

En décembre 2019, l’Odel Var a connu la première grève de son histoire. Des salariés de tout le département avaient fait le déplacement à Toulon pour manifester leur mécontentement face à un accord signé au départ seulement par la CFDT, majoritaire, remettant en cause de nombreux acquis sociaux de l’entreprise. Au final, FO qui avait appelé à la grève, signera aussi. Seule la CGT minoritaire s’est abstenue. Les salariés se sont vu supprimé des jours de carence, de congés payés et ceux pour enfant malade. Mais à l’Odel, les salariés ont le sens du dévouement, trop peut-être : « Sans l’aide du département, l’Odel fonctionne désormais en autonomie, et on a accepté de revoir nos acquis à la baisse pour que notre entreprise reste debout », indique l’une d’entre elles, actuellement en poste. Depuis le début de la pandémie, c’est le chômage technique qui prime. L’après reste incertain. Des salariés craignent de nouveaux licenciements…

1. Philippe Schreck, avocat de l’Odel, nous a adressé par courrier le message suivant : « Mes clients n’entendent pas participer à votrearticle” qui, loin d’être animé par la recherche du débat ou de l’information, n’est conduit que par l’animosité que vous et votre journal portez à mes clients. Naturellement, tous propos écrits, insinuations ou allégations que nous estimerions diffamatoires ou insultants, feraient immédiatement l’objet d’une procédure devant la juridiction pénale par voie de citation directe.« 

#SOS RAVI !

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