Renaud Muselier, l’éternel second

juin 2021 | PAR Jean-François Poupelin
Ecrasé par Jean-Claude Gaudin comme par Christian Estrosi, le président sortant du Conseil régional, longtemps grenouille parmi les bœufs, cherche une légitimité dans un scrutin où il fait figure de challenger. Un pari risqué pour ce Poulidor de la politique.

« Dominique de Villepin fait tout et moi le reste. » Lancée en 2003 alors qu’il est secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac, la petite phrase a valu à Renaud Muselier, cette année-là, le prix de l’humour politique. Une consécration pour cet habitué des secondes places…

Le président de la Région a en effet toujours vécu à l’ombre de plus fortes personnalités politiques que lui. Dauphin putatif de Jean-Claude Gaudin de 1995 à 2008 à la mairie de Marseille, le directeur de clinique est devenu président de la Région par la grâce de Christian Estrosi. Élu en décembre 2015 face à Marion Maréchal (nous voilà) Le Pen, le niçois lui a laissé sa place un an et demi plus tard. Commentaire vachard dans ses mémoires de Gaudin (1), qui n’a jamais porté Muselier dans son cœur : « C’est dans sa position favorite d’héritier qu’il obtient sa première fonction exécutive [alors même que] lors du premier tour, [il] n’est arrivé que très loin derrière (17 points) la candidate FN dans les Bouches-du-Rhône. »

Pour ses partisans, les habits en ont néanmoins fait un moine. En résumé : en présidant, Renaud Muselier s’est révélé. « Avant, [il] était dans l’ombre de Jean-Claude Gaudin, de Marseille. Là, il a endossé le costume de président de Région, il est très dynamique », juge désormais Jean-Pierre Giran, le maire Les Républicains de Hyères, un autre chiraquien et « ami de longue date ». Même regard bienveillant du Marseillais Lionel Royer-Perreaut, maire LR du cinquième secteur et premier vice-président du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône : « Renaud Muselier a toute la légitimité en tant que président de Paca. Il s’est révélé dans la crise sanitaire : j’ai vu un patron qui prenait des initiatives et qui faisait entendre sa voix, y compris en tant que président des Régions de France. » « Il a bien géré la crise, il donne l’impression de s’éclater, de s’émanciper, d’être le patron », assure encore Jean-Marc Martin-Teissere, un conseiller régional de la majorité sortante.

Mais le maire de Verquières dans le Pays d’Arles de mettre cependant un bémol à cet éloge : « Après, les Alpes-Maritimes restent les Alpes-Maritimes. Je pense que Renaud Muselier ne refuse pas de financements à Christian Estrosi, ni à Hubert Falco d’ailleurs pour Toulon. » Sous couvert d’anonymat, un autre élu de la majorité a la nuance encore plus méchante : « Christian Estrosi est toujours légitime car c’est lui qui a mené la liste et qui a été élu. » En plénière, le maire de Nice et toujours président délégué du Conseil régional siège à gauche du président tout court, qui n’oublie jamais de vanter les bienfaits de « Christian » dans les Alpes-Maritimes ou pour la Région (Cf le Ravi n°189). Pendant le psychodrame des discussions avec LREM, le président de Paca était d’ailleurs bien entouré des maires de Toulon et de Nice. Un Christian Estrosi dont Muselier a aussi soutenu l’appel à un rassemblement de la droite derrière Emmanuel Macron pour la prochaine présidentielle…

« Muselier est sous l’emprise d’Estrosi » Alain Milon

« Ils sont extrêmement proches et Christian Estrosi participe pleinement à l’exécutif. Mais chacun est dans son rôle et Renaud Muselier n’est pas écrasé », assure cependant Frédéric Boccaletti, président du groupe RN au Conseil régional et directeur de campagne de Thierry Mariani, le candidat du Rassemblement national aux régionales. « Renaud est une forte personnalité des Bouches-du-Rhône, au même titre qu’Estrosi dans les Alpes-Maritimes ou Falco dans le Var. Il est sur la même ligne qu’eux », veut même croire Christophe Madrolle, président de l’UCE, micro-parti « centriste et écologique«  qui soutient Emmanuel Macron, et candidat d’ouverture dans le « 13 ».

Pour preuve, selon l’ancien Verts et Modem, la conduite des négociations avec la République en Marche. « C’est lui qui les a assumées avec Thierry Soller et Christophe Castaner », jure le centriste. « Si Renaud Muselier avait été faible, il n’aurait jamais fait [cet accord avec LREM] », confirme une journaliste qui suit la droite au niveau national. Et de préciser : « Il fait partie du clan des chiraquiens et a le soutien de Jacob [Christian, le président de LR] et de Baroin [François, le président de l’Association des maires de France]. »

« Jacob soutient Muselier comme la corde le pendu », ronchonne cependant un élu marseillais pour mieux rappeler, là encore, le peu de poids du président des LR des Bouches-du-Rhône dans l’appareil politique des Républicains. Bien qu’il émarge au bureau politique, à la commission d’investiture ou encore au conseil stratégique, Renaud Muselier ne fait pas partie des éléphants de la droite. « Il a des connexions, du poids dans sa région et le soutien du parti parce que Paca est importante pour LR, mais il n’est pas dans les intrigues de palais, ce n’est pas quelqu’un qui pèse et qui va décider du candidat du parti pour la présidentielle », complète notre consœur.

Au point qu’en cas de défaite ce scrutin pourrait être son « dernier bal », pour reprendre une chanson d’un autre Renaud ? « Dans cette élection, il cherche sa légitimité, il veut affirmer qu’il est le patron. C’est compliqué d’être toujours le second », analyse la politologue Christèle Marchand-Lagier. Même sentiment pour Alain Milon, sénateur LR du Vaucluse : « Renaud Muselier a été bridé par Gaudin et est sous l’emprise d’Estrosi, dont il a du mal à se libérer. Il joue donc quelque chose d’énorme : soit il gagne et il prend du poids politique, y compris au niveau national ; soit il perd, et il n’a plus rien. » Et d’ajouter : « S’il perd, ça peut aussi changer beaucoup de choses dans le parti. » Ce qui ne serait pas la première gaffe de Muselier. En 2008, il avait réussi à faire basculer la communauté urbaine de Marseille à gauche, malgré une dizaine de voix d’avance pour la droite…

1. « Maintenant, je vais tout vous raconter », Albin Michel.

Mariani, l’apostat de Valréas

Originaire du nord Vaucluse, dont il a été un élu local avant d’embrasser une carrière nationale, la tête de liste RN aux régionales n’y a pas laissé que des bons souvenirs. Notamment à Valréas, dont il a été maire de 1989 à 2005.

Le RN a définitivement une dent contre l’histoire. Y compris la sienne. Comme Jean-Marie Le Pen aux régionales de 2004, Thierry Mariani a donc oublié qu’il faut être domicilié dans la région où l’on se présente pour pouvoir candidater. Un détail, comme dirait le patriarche, qui avait obligé ce dernier à se retirer et à laisser la tête de liste de l’entreprise politique familiale à un inconnu, Guy Macary.

Locataire depuis les municipales à Avignon de l’appartement de la candidate RN malheureuse, par ailleurs conseillère régionale sortante, le député européen n’en est pas encore là. Mais la séquence est révélatrice du peu d’attachement de l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy à ses terres d’origine, Paca en général et le Vaucluse en particulier. A part un lointain cousin sulfureux, il n’y a plus d’attache, ni de pied-à-terre. « Depuis qu’il est engagé sur une carrière politique nationale, Thierry Mariani s’est installé à Paris et ne montre plus aucun intérêt pour le département », note le sénateur LR Alain Milon.

Le fondateur de la Droite populaire n’a d’ailleurs pas laissé que des bons souvenirs dans l’enclave des papes, où il a été maire de Valréas de 1989 à 2005. Dans un portrait au vitriol publié dans son numéro du 26 mai, Le Canard Enchaîné rappelle : « A son arrivée en 1989, la ville est capitale française des emballages. Quand il s’en va 16 ans plus tard, toutes les entreprises ont fermé, le chômage est à 20 % […] La dette a explosé et les habitants continuent de payer. » Commentaire d’Alain Milon : « Les gens ne veulent plus entendre parler de lui. » A se demander s’il est prévu un déplacement de campagne dans sa ville de naissance…

« Ce n’est pas un élu très populaire, confirme la politologue Christèle Marchand-Lagier, qui l’a suivi pour des travaux sur la porosité entre la droite et l’extrême-droite. Il représente l’élite, la vieille politique et les vieux partis. » Et cette spécialiste du vote FN de relever : « Contrairement à Marie-Josée Roig [ancienne maire d’Avignon, Ndlr] dont la proximité était appréciée, ce n’est pas une figure politique que l’on va convoquer chez les électeurs de droite du département. »

Dommage, parce que c’est précisément pour sa capacité à ratisser large que Mariani a été choisi par Marine Le Pen. « Pour un électeur de droite, voter pour un ancien ministre de Sarkozy, c’est moins compliqué », promet Frédéric Boccaletti, son directeur de campagne. Enfin, s’il peut se présenter…

J. F. P.