J'écris cette lettre depuis mon canapé...

janvier 2021
Alors que les étudiants restent confinés, Anouk, 21 ans, une étudiante de la licence Sciences & Humanités d'Aix-Marseille Université, nous a fait parvenir cette lettre pour dire son mal-être et son angoisse. Témoignage.

Mesdames, Messieurs,

J’écris cette lettre depuis mon canapé… Il est vrai que depuis le 16 mars 2020, je n’ai guère d’autre choix. Il est neuf heures vingt et j’ai un gros sentiment d’angoisse, l’impression qu’il n’y a plus d’issue. Je pense aux étudiants qui sont dans une situation plus difficile et précaire que la mienne et aux professionnels affectés par les mesures liées à la Covid-19. Cela fait déjà vingt minutes que j’essaie de me connecter à ma plateforme universitaire pour suivre mon cours « podcasté » qui commence normalement à neuf heures, ça ne marche pas !

Encore une fois, je m’énerve et perds mon temps. En écoutant ces podcasts je n’étudie pas, je prends connaissance de ce que je rate. Étudier ce n’est pas seulement être derrière un écran, c’est aussi échanger, s’entraider, rencontrer, poser des questions, débattre, collaborer, innover avec nos pairs qui sont probablement nos futurs collègues de travail… Moi, j’écoute un podcast, je remets deux minutes en arrière parce que j’ai raté une information importante, parce que c’est inaudible, parce que la connexion saute, parce que je n’ai pas compris un passage du cours mais que je ne peux pas poser de questions, parce que je m’essouffle peu à peu… Puis j’abandonne…

« Demandez à un bateau de naviguer sans eau »

Au bout de plusieurs heures devant mon écran, une migraine terrible s’installe et j’ai mal aux yeux. Je stresse car dans cette période d’incertitude, il faut particulièrement « assurer son avenir ». Alors, une étincelle de motivation me pousse à reprendre, je persévère mais le même cercle vicieux reprend lui aussi. J’accumule du retard. Je me sens seule, perdue et puis à quoi bon ! Enfin c’est le moment fatidique des examens, panique à bord, vais-je « réussir » ? Demandez à un bateau de naviguer sans eau.

Aujourd’hui, je passe à côté de ma vie de jeune. Nous avons tous été jeunes un jour, la jeunesse n’est pas possible sans libertés. Je dis « nous » car aujourd’hui je ne suis plus « jeune », non, je suis enfermée, je n’ai le droit de m’exprimer et d’apprendre que devant un écran et je n’ai plus aucune perspective d’avenir, je n’appelle pas cette période de ma vie « la jeunesse ».

Il y a peu, l’OMS a annoncé que malgré la mise en place d’un vaccin, nous n’arriverons pas à une immunité collective mondiale en 2021. L’espoir de la solution “vaccin” diminue peu à peu. Combien de temps cette situation va-t-elle durer ?

Certes, fermer les universités limite la circulation du virus mais je vous invite à bien réfléchir sur le bénéfice/risque de cette condamnation. Les universités ne rapportent pas d’argent direct contrairement aux centres commerciaux, c’est un investissement à long terme. L’éducation est l’armature de la stabilité sociale, sans quoi nous nous exposons à la misère et à la violence. Ce sont là des maladies, certes sociétales, mais tout aussi considérables, il faut s’en préserver.

Le problème est concret, imaginons un étudiant, futur chercheur dont le cursus est amputé, dans le meilleur des cas, de deux ou trois années d’étude. Quelques années plus tard, il ne possède pas les compétences requises pour faire face aux futurs problèmes sociétaux liés à son domaine. Médecine, biologie, sociologie, économie, physique, chimie, anthropologie, technologie, écologie, sciences politiques… Les étudiants sont l’avenir de tous les domaines. La société doit-elle se priver de son avenir pour faire face à cette crise sanitaire ? Je ne parviens pas à concevoir une telle négation, les universités doivent rouvrir et en sécurité !

« Les étudiants sont l’avenir »

Bien sûr, on ne doit pas nier la gravité du virus. Mais il ne faut pas non plus nier les mortalités et morbidités collatérales (maladies non prises en charge à temps, suicides, dépressions…). Selon l’OMS, « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Le contexte actuel balaye les dimensions mentales et sociales de cette définition. D’après l’OMS, aujourd’hui, la population n’est pas en bonne santé, en tout cas la population étudiante. C’est une réalité, les suicides et tentatives de suicides se multiplient. Cette semaine encore, une étudiante de Lyon a tenté de se défenestrer. Ce n’est malheureusement pas la première et pas la dernière, il faut agir ! Entendez cette détresse ! Il est urgent de rouvrir les universités.

Pour cela, j’ouvre la réflexion sur un système où il serait obligatoire d’avoir une « attestation d’un test négatif » pour accéder aux lieux dits « à contagiosité élevée ». L’objectif serait de multiplier les centres de tests notamment antigéniques pour que tout le monde ait la possibilité de se faire tester au moins une fois tous les dix jours (idéalement toutes les semaines). L’accès aux espaces où la contagiosité est élevée et qui sont actuellement fermés (bars, restaurants, université, théâtres, cinémas…) serait autorisé aux personnes qui présentent cette attestation. Ceux qui souhaitent se protéger radicalement ou qui refusent d’effectuer ces tests peuvent conserver le système actuel. Chacun pourrait savoir s’il est positif ou négatif et agir en conséquence. Ce système est d’ailleurs déjà imposé pour accéder à certains pays.

Le 12 décembre 2020, un concert de 500 personnes a été organisé à Barcelone. Aucune nouvelle contamination n’a été recensée. Les 463 participants ont tous présenté un test négatif avant d’entrer. Le port du masque FFP2 était imposé, du gel hydroalcoolique était à disposition, les salles étaient aérées, des sens de circulation étaient organisés et la distanciation sociale non-obligatoire.

Réfléchissons à ce type de solution et ne saignons pas la société de son savoir et de sa connaissance, de ses intellectuel.les. N’oublions pas la vie !

Même les meilleurs sont en train de décrocher, c’est une réalité, ne nous oubliez pas.

Signé : Une étudiante en détresse qui cherche désespérément une solution, Anouk.

PS : Anouk nous a également signalé le témoignage de l’un de ses professeurs qui raconte, lui aussi, ses galères de confiné.