Voisins des deux rives

novembre 2020 | PAR Samantha Rouchard
Parfois, il suffit de traverser une route pour rencontrer le reste du monde. C'est ce qu'on a fait, à Septèmes-les-Vallons, à la rencontre de six jeunes découvrant des demandeurs d'asile...

Covid oblige, cette année 2020, les échanges avec l’autre rive de la Méditerranée ont été stoppés dans leur élan. Mais pour les jeunes du centre social La Gavotte Peyret, à Septèmes-les-Vallons, il a suffi de traverser la route pour partir à la rencontre du reste du monde…

De l’autre côté du rond-point, dans un ancien hôtel transformé en CAES (Centre d’accueil et d’examen des situations) géré par Forum Réfugiés vivent de façon provisoire – mais pour certains le provisoire dure depuis plus d’un an et demi – 150 demandeurs d’asile. En partageant diverses activités, sur plusieurs jours, jeunes du centre social et réfugiés ont appris à se connaître et à s’apprivoiser.

Sofia, Bouchra, Kahina, Marwane, Amine, Kemil et Chaima racontent leurs rencontres avec Bakayoko, Lia et ses parents, Ahmad, Weida, Moustafa, Sardar, Khalda et Yousri, venus de Côte d’Ivoire, du Mali, d’Afghanistan et du Soudan. Ces rencontres ont permis à ces adolescents de dépasser les préjugés et les clichés, et parfois même de s’interroger sur les propres parcours migratoires de leurs familles.

S. R.

 

Sofia et Bakayoko

« Faire vivre de telles horreurs à un autre être humain ! »

Bakayoko est originaire de Côte d’Ivoire. Il vit à l’hôtel, de l’autre côté de la route. La conversation était facile car dans son pays il était professeur de français. Il parle très bien la langue. Il est passionnée de littérature et il aimerait enseigner ici. Il m’a raconté longuement son histoire. On sentait qu’il avait besoin de parler. Il a quitté son pays pour des raisons politiques et parce que sa vie était mise en danger. Il m’a confié les tortures qu’il a subies. C’est atroce. Son histoire m’a beaucoup touchée et choquée. Je ne pensais pas que l’on pouvait faire vivre de telles horreurs à un autre être humain, simplement pour ses choix politiques.

Sofia, 16 ans

 

Kahina et Lia

« Je ne savais pas que leurs parcours étaient aussi difficiles »

On a rencontré Lia, 8 ans, et ses parents. Ils viennent du Mali. Il sont arrivés en France, l’an dernier. Dossou, la maman, ne parle pas français. C’est son mari et Lia qui traduisent. Leur langue d’origine est le bambara. Ils ont traversé plusieurs pays, l’Algérie en camion, la Libye où ils ont été retenus prisonniers plus d’un mois, ensuite ils ont pris le bateau pour atteindre l’Italie, avant de passer la frontière en train.

Malgré son jeune âge, Lia a fait ce long voyage seule avec ses deux parents. Ses quatre frères sont restés au pays. Dossou a perdu son père lorsqu’elle était enfant. Dès l’âge de 5 ans elle devait aider sa mère à la maison, elle s’est mariée à 20 ans. Elle est heureuse que Lia puisse aller à l’école. Dans son pays, Dossou était agent d’entretien avant.

Ma propre grand-mère, Sakina, a perdu sa mère très jeune, elle n’a pas pu aller à l’école alors que ses frères et sœurs oui. Elle aussi devait aider sa mère à la maison pour les tâches ménagères, préparer le manger, etc. Je ne connais pas toute l’histoire de ma grand-mère mais je trouve qu’elle ressemble beaucoup à celle de Dossou. Je savais que les gens qui vivent au CAES étaient des migrants, mais je ne les fréquentais pas. Ils sont sympas. Je sais aujourd’hui que leur parcours est difficile.

Kahina, 16 ans 

 

Bouchra et Lia

«Au Mali, les petites filles subissent encore l’excision»

En rencontrant Lia et ses parents, on a appris plein de choses sur leur pays, le Mali. Là-bas, il y a des musulmans et des chrétiens. Et la population s’affronte entre elle. Même s’ils ne nous ont pas dit exactement pourquoi ils ont choisi de partir, ils nous ont expliqué que c’était principalement pour leur fille. Ils sont rassurés d’être ici. On nous a expliqué que les conditions de vie au Mali sont assez compliquées. Encore plus pour les femmes. Elles n’ont pas de droits. Les petites filles subissent encore l’excision. Avant 15 ans les adolescentes sont plutôt libres, mais après elles ont interdiction de sortir sans l’avis du chef de famille qui est soit le père, soit le mari. La plupart du temps les jeunes filles doivent porter les tenues traditionnelles, ça serait mal vu de mettre des jeans déchirés aux genoux comme nous.

Bouchra, 16 ans 

 

Marwane et Ahmad

« Ahmad a fait le chemin seul et à pied jusqu’en France »

J’ai fait la connaissance d’Ahmad. Il a 31 ans, il est originaire de Kaboul. Il est en France depuis maintenant huit mois. On a discuté de sa jeunesse et de sa vie en Afghanistan. À l’école, il est allé jusqu’en Terminale. Il m’a dit que sa matière favorite était l’Histoire. Ahmad travaillait dans une usine de briques. Sa situation dans le pays était devenue trop difficile, alors il a dû partir. Mais il a fait le chemin seul et à pied jusqu’en France. Sa femme est restée au pays. Plus tard, il aimerait bien être agriculteur et avoir un élevage de poules et dans le meilleur des cas il voudrait avoir une ferme agricole. En attendant, au CAES, il fait pousser des fleurs.

Marwane, 16 ans

 

Amine et Weida

« Moi aussi je viens d’ailleurs »

Les personnes qui habitent au CAES ont dû fuir leurs pays. Pour différentes raisons ils sont venus se réfugier en France. Grâce au centre social j’apprends beaucoup de choses sur ce qu’il se passe dans le monde, comme par exemple les crises financières, les guerres, les problèmes politiques, etc. Aujourd’hui j’ai rencontré Weida, son mari Moustafa et leurs fils Subhan. Ils viennent d’Afghanistan. Ils sont jeunes, la maman a 23 ans, le papa 25 ans et leur fils, 4 ans et demi. Je leur ai demandé pour quelle raison ils ont quitté leur pays. Ils m’ont simplement dit que c’était pour des ”raisons personnelles”. Je n’en sais pas plus et je n’ai pas posé plus de questions parce que j’avais peur que ça les rendent tristes.

Ils ont quitté l’Afghanistan il y a plus de quatre ans. Avant d’arriver en France, Ils ont traversé énormément de pays : ils sont passés par l’Iran, la Grèce, la Serbie l’Autriche, l’Allemagne, le Danemark, la Suède… Weida est tombée enceinte en Turquie et a accouché en Suède.

Ils sont partis très jeunes. Weida n’avait que 17 ans et Mustafa 19. Si dans trois ans pour n’importe quelles raisons je devais quitter mon pays et ma famille, je ne sais pas si si je serais aussi courageux qu’eux. Si c’est pour ma survie, je pense que comme eux je trouverais la force de partir et de faire ce long voyage… Mes grands-parents aussi ont dû quitter l’Algérie très jeunes, à 16 et 19 ans. Quelque part, je peux dire que moi aussi je viens d’ailleurs.

Amine, 14 ans 

 

Kemil et Sardar

« Si un jour ma vie est en danger, alors moi aussi je partirai… »

Sardar est originaire de la province d’Uruzgan, en Afghanistan. Il est arrivé en France il y a six mois mais avant cela, il a vécu quatre ans en Suède. Il a fui en Europe parce qu’il était menacé dans son pays. Il n’a pas souhaité m’en dire plus. Je n’ai pas insisté car ce sont des choses intimes, et je le respecte. Sardar a comme passion le foot, il supporte le Real Madrid et son joueur préféré est Sergio Ramos. Lui même, Il essaie de pratiquer ce sport tous les deux jours au stade, à côté de l’école primaire. On voit souvent les demandeurs d’asile du CAES jouer là-bas. Parfois on joue contre eux. Mais jusqu’ici on ne leur avait jamais parlé. Sadar n’a pas de métier spécifique, mais il aime la peinture. D’ailleurs, en rigolant, il nous a dit qu’il serait partant pour repeindre les murs du centre social en blanc, le violet et le rose ne lui plaisent pas trop.

Il a toujours le sourire aux lèvres, ce qui le rend très sympa. Avant de les rencontrer, je savais que c’était des migrants et qu’ils vivaient tous à l’hôtel, un hôtel qui n’est pas fait pour les voyageurs, mais pour ceux qui veulent rester vivre ici. Je trouve ça courageux. Moi, je ne me vois pas vivre dans un hôtel. Déjà, je dois partager ma chambre avec mon frère et ce n’est pas facile tous les jours…. Mais si un jour, ma vie est en danger, alors sûrement que moi aussi, comme Sardar, je partirai…

Kemil, 16 ans

 

Chaima, Khalda et Yousri

« Je suis heureuse de voir que certains réfugiés arrivent jusqu’à nous »

Khalda et Yousri sont soudanais. Dans leur pays, elle était comptable et son mari travaillait dans les affaires et dans les relations internationales. Je n’ai pas vraiment compris en quoi consistait le métier de Yousri, mais il avait l’air d’avoir un poste important. On a plutôt parlé de ses passions : le jardinage et les fleurs. Il aime planter et voir pousser. Il pourrait en parler pendant des heures. Il a voyagé dans le monde entier pour rencontrer d’autres passionnés, comme lui. Il trouve que les jardins à la française sont les plus beaux, ce sont ses préférés, quand il en parle il a les yeux qui brillent ! J’aimerais être préparatrice en pharmacie, il m’a dit que c’était une belle idée, car c’est un métier qui a pour but de garder les humains en bonne santé et que l’utilisation des plantes y était très importante… Cette idée me plaît, car j’aime aider les gens.

Yousri aime aussi le foot, il m’a cité de nombreux clubs, dont l’OM. Il joue aussi au tennis. Il me dit avoir lu plus de 20 000 livres dans sa vie. C’est énorme ! Moi je n’ai jamais réussi à en finir un… Il m’a expliqué que l’envie de lire venait des parents, des amis, des professeurs. Si on nous parle d’un livre intéressant alors on aura envie de le lire. Que ce soit dans le sport, le jardinage ou la musique, pour lui le plus important c’est que toutes ces activités permettent de rencontrer des gens, de différentes cultures ou de différents milieux sociaux. “L’important ce n’est pas ce que l’on fait mais les rencontres que cela permet. C’est ça la vie !”, m’a-t-il dit.

Khalda adore la littérature, et les écrivains français comme, Jean-Paul Sartre, Victor Hugo. Les Misérables est son œuvre préférée, elle aime les histoires qui “reflètent la réalité”, ce que vivent les gens. Elle aime aussi les livres qui parlent de philosophie et de politique. Elle voudrait mieux maîtriser la langue française et pouvoir poursuivre sa carrière ici. Elle aimerait aussi être libre de pouvoir voyager dans d’autres pays, avec l’espoir de pouvoir retourner au Soudan, un jour.

À 16 ans, Khalda aimait déjà aider les gens et faisait du bénévolat. “Et j’avais les mêmes espoirs qu’aujourd’hui”, m’a-t-elle dit. À cet âge-là, les adolescentes soudanaises passent du temps avec leurs amies, en attendant de se marier. J’ai 16 ans et moi je ne pense pas encore au mariage. Lorsque Yousri avait mon âge il aimait déjà les fleurs et la nature. Il jouait de la guitare et écrivait des poèmes.

Ils ont un fils de 30 ans mais ils auraient bien aimé aussi avoir une fille. Yousri m’a demandé si j’avais des frères et sœurs. Je leur ai répondu que je n’avais que des frères. Yousri m’a dit en riant : “Tu es la reine alors !

Khalda et Yousri ont toujours le sourire. Ils se font aussi pas mal de blagues entre eux. J’ai beaucoup aimé discuter avec eux. Je suis heureuse de voir que certains réfugiés arrivent jusqu’à nous. Il y a deux ans, lorsque j’étais dans un ferry pour le Maroc avec mes parents, j’ai vu des corps de migrants qui flottaient dans l’eau. Je pouvais apercevoir leurs gilets de sauvetage, il y en avait même un à qui il manquait une jambe…

Chaima, 16 ans

 

Fiche technique :

Thématique :  Voisins des deux rives… Rencontre entre jeunes du centre social et des demandeurs d’asile accueillis au CAES (Centre d’accueil et d’examen des situations) installé en face de la cité.

Nombre de jeunes : une dizaine et autant de demandeurs d’asile.

Durée : Opération au long cours, sur l’année. Avec des actions autour du jardinage, de l’amélioration du cadre de vie au CAES, des sorties thématiques, un atelier cuisine, un repas partagé et des rencontres où chacun se raconte.

Lieu : Centre social La Gavotte Peyret, Septèmes-les-Vallons.

"Le bout du monde, c'est déjà ici"

Le regard de Djelloul Ouaret, le directeur du centre social La Gavotte Peyret, sur les rencontres entre jeunes et réfugiés.

« Les gens sont très solidaires ici surtout pendant des périodes phares comme le Ramadan où ils donnent beaucoup. Mais après, il y a un côté « sombre » dans la relation avec les réfugiés qui vivent de l’autre côté du rond-point. Ça se manifeste dans les transports, les magasins ou autres. Comme s’ils étaient porteurs de tous les mots de la terre.

Il a fallu créer du lien entre la cité et le Centre d’accueil et d’examen des situations (CAES) qui est installé de l’autre côté du rond-point depuis trois ans. On a choisi pour ça de s’appuyer sur les jeunes. On travaille en local, une forme de solidarité internationale.

Notre moteur c’est de dire : ça ne sert à rien d’aller au bout du monde si on ne développe pas les choses ici. Une association au Maroc fait le même travail en local dans une zone comme Agadir et sa province où les migrants sont aussi stigmatisés. L’important c’est que les jeunes partagent leur culture de vie, celle du quartier et celle de leurs origines multiples et variées.

Ils sont aussi en charge de faire découvrir la commune aux habitants du CAES afin qu’ils s’intègrent plus facilement. Et en face, on a envie de savoir aussi ce qui leur manque culturellement et ce qu’ils ont laissé derrière. Et à travers quel prisme un Soudanais  peut faire découvrir le Soudan à nos jeunes. Et comment, à travers un repas ensemble, on peut partager une ouverture au monde… »

Propos recueillis par S. R.