Menaces sur Rouillan et la liberté d’expression

avril 2017 | PAR Michel Gairaud
L'avocat général a requis, mardi 18 avril 2017, deux ans de prison, dont un an assorti d'un sursis avec mise à l'épreuve contre Jean-Marc Rouillan jugé pour "apologie du terrorisme", suite à son entretien avec le Ravi, devant la cour d'appel de Paris. La décision sera rendue le 16 mai. Si elle était confirmée, elle serait une grave atteinte à la liberté d’expression.
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« La prison est d’abord la terreur d’une classe sur l’autre. » La formule est de Jean-Marc Rouillan au micro de la Grande tchatche, l’émission politique du Ravi sur Radio Grenouille. « Si on va en prison, on se rend compte qu’elle est réservée presque exclusivement aux gamins des quartiers populaires, poursuit l’ex militant d’Action Directe. Elle est aussi un outil de destruction de masse, de torture. » Cet entretien, en mars dernier, lui a valu une nouvelle condamnation, prononcée le 7 septembre, à huit mois d’emprisonnement. Le parquet avait requis un an. Les avocats de la défense ont fait appel (suspensif). Le mardi 18 avril 2017 l’avocat général de la cour d’appel de Paris a requis deux ans de prison, dont un an assorti d’un sursis avec mise à l’épreuve. La décision sera rendue le 16 mai.

En septembre dernier le TGI a décrété Rouillan coupable d’avoir « fait preuve d’empathie à l’égard des auteurs des attentats qui ont frappé le territoire français en janvier et en novembre 2015 ». C’est une phrase sur ceux qui « se sont battus courageusement dans les rues de Paris » qui motive le jugement. Cette citation, sortie de son contexte, d’abord reprise en boucle sur la blogosphère d’extrême droite puis par un tweet de l’AFP, a fait l’objet d’un emballement médiatique. Peu de confrères ont pris la peine de lire et d’entendre, dans le même entretien, d’autres mots de Jean-Marc Rouillan condamnant « les idées réactionnaires » de Daech : « c’était idiot de faire ça (…), c’est un mouvement basé sur le mortifère, le sacrifice. »

Au TGI de Paris, Jean-Marc Rouillan a assumé ses propos tout en reconnaissant que « détermination » aurait mieux convenu que « courageux » pour définir les auteurs des attentats qu’il refuse de qualifier de « révolutionnaires car le retour au grand califat c’est beaucoup plus d’oppression pour leurs frères que de libération ». Est-ce utile, quant à nous, de rappeler l’absence d’empathie de notre mensuel pour les intégristes islamistes ? Rien n’y a fait. Même si des recours sont encore possibles, alors qu’il a déjà passé un quart de siècle derrière les barreaux, Jean-Marc Rouillan pourrait donc y retourner. Avec lui, conformément à ce que la loi oblige, nous avions convenu de ne pas évoquer durant l’émission les faits pour lesquels il a été condamné. Comme lui, nous nous retrouvons piégés par l’interprétation extensive et abusive, selon le souhait du ministre de l’Intérieur, de ce qui relève de l’apologie du terrorisme. Disons-le clairement : ce jugement remet dangereusement en cause la liberté d’opinion.

La Ligue des droits de l’homme, dans un communiqué du 8 septembre 2016, s’élève elle aussi « contre les dérives qui consisteraient à ce que les juges (…) s’instaurent en police de l’opinion, portant ainsi des atteintes graves à la liberté d’expression ». La LDH constate que, depuis que l’infraction d’apologie du terrorisme a été retirée de la loi sur la presse de 1881 pour être transférée dans le Code pénal, « les inculpations se sont multipliées, souvent en comparution immédiate, et ont fait l’objet de condamnations très sévères ». De telles dérives minent les fondements de notre démocratie.

« Je regrette que le juge d’application des peines me demande de me faire transparent. Car enfin, c’est un processus chimique très compliqué à réaliser ! Peut-être qu’on peut réussir l’opération, comme les flamants roses mangent des crevettes, en avalant du papier cellophane ? Des méduses ? » C’est Jean-Marc Rouillan qui l’écrit (1). Nous ne regrettons pas de l’avoir invité à notre Grande tchatche. Nous regrettons d’avoir eu la naïveté de croire qu’il ne risquait pas sa liberté en s’exprimant dans une France corsetée sous un régime d’état d’urgence.

Michel Gairaud, rédacteur en chef du mensuel le Ravi

1. Je regrette, de Jean-Marc Rouillan, éditions Agone, rédigé en 2010, réédité en 2016, 9,50 euros.