En attendant Xavier

février 2022 | PAR Mathilde Frénois
Le groupe Nice-Matin a été repris en 2020 par Xavier Niel. Si les investissements matériels sont au rendez-vous, les syndicats s’inquiètent des intentions du PDG de Free, peu présent, qui cherche à racheter La Provence.

Le 13 février 2020, le patron de Free rachète l’intégralité de Nice-Matin, « premier groupe de presse du Sud-Est de la France ». Xavier Niel fait alors le déplacement dans la capitale azuréenne avec son staff. Pour la première et la dernière fois. « On ne l’a plus jamais revu. Ça nous étonne un peu, déplore Rodolphe Peté, journaliste et délégué syndical SNJ. Il envoie son bras droit ou on passe par la direction. Symboliquement, ce n’est pas pareil. Ce qui est bizarre c’est qu’il ne s’implique pas. » Pourtant, Xavier Niel est en passe de fortifier encore davantage sa présence médiatique dans le Sud-Est. Alors que le groupe comprend également Var-Matin et Monaco-Matin, il lorgne désormais sur la presse marseillaise. Sa holding personnelle NJJ tente de racheter les 89 % des parts que détenait Bernard Tapie dans La Provence. Que peut présager une telle reprise pour Nice-Matin ?

Quand Niel arrive à Nice-Matin en 2020, l’entreprise vit un véritable feuilleton. La « belle aventure » débute en 2014 quand les 456 salariés sauvent leur entreprise devant le tribunal de commerce. Tous ensemble, ils rachètent leur propre société et deviennent actionnaires à hauteur de 66 %. En mutant en société coopérative d’intérêt collectif (Scic), les salariés se prémunissent à la fois d’une éventuelle casse sociale et d’une possible incidence sur leur ligne éditoriale. En 2019, c’est l’heure de la reprise. Le journal a l’embarras du choix. Il reçoit deux offres sérieuses : l’une du sulfureux homme d’affaires Iskandar Safa, déjà propriétaire de Valeurs Actuelles, l’autre in extremis de Xavier Niel alors actionnaire minoritaire du Monde. Arrivé sur le tard, le second remporte le rachat des 34 % que possédait encore le groupe belge Rossel. Les salariés sont soulagés : avec Safa, ils craignaient des interventions sur la ligne éditoriale, à la différence de Niel.

« Le compte n’y est pas ! » Rodolphe Peté

Aujourd’hui, Xavier Niel est patron à 100 %. Arrivé un mois avant la crise sanitaire, le fondateur de Free a d’abord effectué des investissements techniques : changement d’appareils photo, achat d’ordinateurs et surtout un déménagement vers des bureaux neufs. « Des choses ont été faites mais on espérait un coup d’accélérateur dès le départ. Le compte n’y est pas en termes d’investissements, de gouvernance et de développement, pointe Rodolphe Peté. La conjoncture a été compliquée. Le Covid a perturbé les recettes publicitaires et l’événementiel. Et il y a eu des erreurs stratégiques : le logiciel d’abonnements est catastrophique et on a attendu pendant un an le directeur général. On a eu deux directeurs des ventes et pas mal de turn-over. »

En avril 2021, les salariés de Nice-Matin votent une motion de défiance à l’encontre de la holding NJJ. Ils pointent ces faibles investissements, la baisse du tirage et la peur des départs. Dans le même temps, la direction lance un plan de communication sur les réseaux sociaux, en radio et via l’affichage urbain. « Xavier Niel est un vrai entrepreneur donc il entreprend. Contrairement aux nombreux actionnaires précédents, fait remarquer un salarié. Ça bouge pas mal à tous les niveaux. Avec un gros accent mis sur la diversification du média. Ça peut en inquiéter quelques-uns parce que tout changement est incertain, mais le journal avance. » Dans plusieurs domaines. Ainsi, Nice-Matin a créé un studio télé et une agence d’influenceurs locaux. Premier média de PQR (Presse quotidienne régionale) à miser sur le concept de l’influence, Nice-Matin vient d’être imité par Sud-Ouest. le Ravi n’a pas pu s’entretenir avec Xavier Niel pour évoquer sa vision du développement du groupe de presse.

Un journal reste fait par des journalistes. Ils sont 185 à Nice-Matin sur près de 700 salariés. Après la clause de cession qui permet de quitter l’entreprise lorsque son propriétaire change, deux plans de départs volontaires sont en cours : une cinquantaine de personnes pour l’administration et une trentaine dans les services techniques, dont les centres d’impression. Nice-Matin n’échappe pas non plus à la double crise du papier : le nombre d’exemplaires imprimés qui diminue et le prix de la matière première qui augmente. « Le feuilleton marseillais conditionne beaucoup de choses chez nous. Si, avec La Provence on a le même actionnaire, nous aurons des projets communs, des passerelles, des outils similaires. Par exemple, le même logiciel de rédaction. Sinon, ce sera différent, anticipe le syndicaliste Rodolphe Peté. Forcément ça crée une sorte d’attentisme. Tant qu’on n’a pas la réponse, c’est compliqué. » Cette mutualisation pourrait concerner des services de l’administration ou de l’impression. Un projet de centre de rotatives en commun dans le Var est d’ailleurs dans les cartons. Objectif : économiser et améliorer le maillage territorial. Nice-Matin compte bien résister à cette interminable attente, à la crise du papier, aux réductions d’effectifs pour ne pas gâcher sa « belle aventure » de 2014. Et pour faire vivre ce titre né en 1944 sous la Résistance.

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Nouvelle formule

Un an exactement après la reprise par Xavier Niel, Nice-Matin se renouvelle avec « un tout nouveau journal », affirme le groupe dans un communiqué de presse. Ses 80 000 lecteurs, dont deux tiers d’abonnés, découvrent un magazine thématique inséré au milieu du journal, le regroupement des pages sports à la fin et « une UNE spécifique à l’intérieur du journal pour les locales afin de mieux identifier ces pages ».

L’organisation change aussi : le découpage territorial de Var-Matin est réétudié pour passer de cinq à quatre éditions. Dans le langage de la NJJ holding, on appelle ça « fai[re] évoluer sa formule ». Dans le quotidien d’une rédaction, c’est une inquiétude pour les localiers qui travaillent dans la proximité, et s’inquiètent de la perdre.

Rodolphe Peté : « On sent qu’ils essaient de basculer vers le modèle digital. Il faut faire la transition, mais sans perdre le socle essentiel : régie, rédac, portage. C’est ce qui nous fait vivre aujourd’hui. Il faut marcher sur ces deux pieds. Sinon on va boiter. » Le groupe, qui comprend également Var-Matin et Monaco-Matin, a fini l’année en léger négatif, avec un chiffre d’affaires de 70 millions d’euros…

M. F.