Logement social, tu perds ton sang froid

mars 2020 | PAR Clément Chassot
C’est la loi, les communes de plus de 3500 habitants doivent disposer d’au moins 25 % de logements sociaux. Charge aux maires de la respecter. Mais Paca est, après l’Ile-de-France, la plus mauvaise élève.

72 sur 269. Plus de 25%… Fin 2017, pratiquement un tiers des villes de France métropolitaine désignées par le ministère de la Cohésion des territoires (et du logement) comme communes « carencées » en logement social pour la période 2014-2017 étaient en Paca ! Majoritairement sur le littoral, avec un contingent particulièrement important des Alpes-Maritimes : 26. Et ça ne risque pas de s’arranger ! Selon le tout récent rapport du Comité régional de l’habitat et de l’hébergement (CRHH), après avoir financé 12 000 logements en 2016, 10 000 par an l’ont été entre 2017 et 2019. Bien loin de l’objectif officiel de 20 000 logements pour atteindre l’objectif des 25 % de la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain).

En attendant la sortie du prochain rapport triennal, probablement après les élections municipales, de nombreuses communes ont demandé à l’État une exemption de l’application de la loi SRU au titre de l’inconstructibilité ou d’une desserte insuffisante en transports en commun. Pour la métropole Aix-Marseille-Provence, 31 communes ont fait cette demande (près d’un tiers). « La région est l’une des plus carencées et continue à afficher une mauvaise volonté », réagit Florent Houdmon, directeur régional de la Fondation Abbé Pierre. Il considère que certaines communes avancent des arguments « spécieux » pour s’épargner la production de logements sociaux, notamment sur l’offre de transport comme au Rove ou à Carnoux-en-Provence.

Au final, plus sévère que les préfets, la commission nationale ministérielle a choisi de ne retenir que deux communes sur la métropole (Fos-sur-Mer et Saint-Victoret). Au niveau régional, sur les 29 communes sélectionnées par les différents préfets, seules neuf ont été exemptées par la commission. « Un bon signal », pour Florent Houdmon, partagé par Patrick Lacoste, représentant de l’association marseillaise Un centre ville pour tous : « Lors de la dernière réunion ministérielle (mi-février, Ndlr) organisée en préfecture, le ministre nous a assuré qu’il allait “mettre la pression et appliquer les pénalités” »…

« Faire du logement social, ce n’est pas notre vocation » Jean Montagnac

À Carry-le-Rouet, station balnéaire de la côte bleue, seulement 1,5 % des logements étaient sociaux en 2015 (1). Le maire (LR) Jean Montagnac, élu en 2013 et qui ne se représente pas, crie à l’injustice : « Notre commune est soumise à la loi SRU depuis 2008. Elle devait alors construire 780 logements sociaux d’un coup. C’est scandaleux ! » La commune paie donc 380 000 euros de pénalités par an. Le maire, tout en avançant la rareté du foncier, assure en avoir déjà construit 46 et discuter avec un promoteur pour 55 de plus mais l’État lui mettrait des bâtons dans les roues au titre du risque incendie et de fouilles archéologiques : « On nous tape sur les doigts et quand on veut en faire, on ne peut pas », avant de concéder que « ce n’est pas la vocation de Carry que de faire du logement social ». À la Fondation Abbé Pierre, Florent Houdmon tique : « La mairie a accordé pendant des années des permis de construire pour des villas… »

À Marseille, 16 mois après les effondrements de la rue d’Aubagne, le sujet est très sensible. Si la ville compte globalement 20 % de logements sociaux, ils sont très disparates selon les arrondissements : plus de 40 % dans les 14 et 15èmes arrondissements par exemple, 4 % dans le 6ème arrondissement (centre-ville). Un centre ville pour Tous réclame 25 % dans tous les arrondissements d’ici 2025. « Il faudrait produire 5000 logements sociaux par an pour cela, on est très loin du compte », éclaire Jean-François Cerruti l’un des membres. L’association réclame également l’abaissement du seuil du nombre de logements à partir duquel il est obligatoire de faire du logement social (30 %) : le  PLUI (Plan local d’urbanisme intercommunal l’a abaissé de 120 à 80 quand les militants réclament 10. Aucun candidat à l’élection municipale ne s’est engagé sur un seuil si bas… Avant de dénoncer les arrangements des promoteurs, comme par exemple près du boulevard Michelet où un programme de 600 logements a été découpé en six pour contourner la loi…

Autre record pour un autre coin de la région, Menton (06) et son agglomération. C’est dans la ville frontalière que « le taux de tension » sur le logement social est le plus important : sur 12 demandes de logement, seule une est accordée. L’inamovible maire (LR) de Menton, en fonction depuis 30 ans, Jean-Claude Guibal, n’a pas souhaité répondre à nos questions mais pour l’un de ses concurrents à l’élection, Frédéric Pellegrinetti, tête de liste d’un rassemblement de la gauche, « le maire a laissé la ville aux mains des promoteurs pendant 30 ans. 47 % des logements sont des résidences secondaires ! Et quand il fait du logement social, les surfaces sont trop petites, inadaptées à une famille ».

Lui propose de mieux utiliser le droit de préemption pour « se refaire une réserve foncière », la création d’une coopérative municipale du logement social, un encadrement des loyers… Mais le plus souvent, les politiques savent que proposer du logement social n’est pas populaire mais l’avouent très rarement. À part le maire de Six-Fours-les-Plages dans le Var (7,5% en 2015, selon les chiffres du ministère), Jean-Sébastien Vialatte, qui confiait sans détour en décembre au Ravi alors que sa commune était désignée la ville la plus à fuir de notre palmarès (le Ravi n°180) : « De toute manière les gens n’en veulent pas ! »