« Je suis engagée dehors ! »

décembre 2017 | PAR Michel Gairaud, Rafi Hamal
Nicole Ferroni, invitée de la Grande Tchatche
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le Ravi : Le mélange des genres, l’humour et la réflexion sur des sujets de fond, c’est votre credo ?
Nicole Ferroni : Je suis née clown dans une famille qui aime rigoler, où on est obligé de sortir des blagues. Mais c’est vrai que j’aime m’attaquer aux sujets sérieux. Quand je vois passer un truc qui m’interpelle, je tire le fil pour découvrir le bout de la pelote.

Avec vos chroniques sur France Inter, votre démarche est souvent journalistique. Y lancez-vous des alertes ?
Au départ, je ne voulais pas participer à la matinale car je n’avais aucune connaissance en politique. C’est la curiosité qui a fait dériver mon travail. Je n’avais pas du tout cette fibre militante qui est la mienne aujourd’hui. Mais, neuf fois sur dix, les choses que je lis en me documentant, me déplaisent et me mettent en colère. Donc, j’utilise ma fenêtre de tir, là, pour faire savoir ce que je viens d’apprendre.

Que répondez-vous à ceux qui pensent que le mélange entre information et humour contribue à une sorte de grand ricanement, à une décrédibilisation du débat politique ?
Je suis sensible à ce genre de questionnement. Le revers de la médaille des humoristes c’est de rendre trop légers des sujets graves, comme le sort des migrants, le chômage, le mépris en général que peut avoir la classe politique… Le risque aussi c’est que nous servions de soupape, pour faire diminuer la pression de la cocotte-minute. C’est pour çà que j’essaye de travailler avec beaucoup de rigueur, en allant vérifier les textes de loi par exemple. Ma force, c’est de vulgariser des thématiques compliquées pour le plus grand nombre. Un billet humoristique de 3 minutes se partage bien sur internet et transmet des informations que beaucoup n’iraient pas chercher chez les journalistes.

Quelles sont vos sources ?
Mon péché mignon c’est de regarder les débats parlementaires entre minuit et deux heures du matin.

Vous avez une vie privée quand même !
Venez vivre dans ma vie, c’est un régal ! Je mets en fond sonore les débats au Parlement…

Votre regard sur les premiers pas de la start-up nation en marche ?
Le terme start-up nation, est bien choisi. Je suis impressionné par la façon dont on peut retourner un pays, dont on peut bouleverser le paysage politique. Le fait qu’il y ait autant de députés du même bord, ceux de En Marche, permet de faire passer les lois si vite ! S’opposer est presque devenu impossible. C’est surtout un très bon quinquennat en matière de communication.

Pourquoi une majorité de français semble pour l’instant tout pardonner à Emmanuel Macron ?
Ma mère par exemple est macronisée. Le président lui a retourné le cerveau. J’appelle çà l’effet Brigitte. Elle dit « non mais arrêtez de critiquer Macron, il est beau, il a de beaux yeux bleus ». Et voilà, ça lui suffit. Vous voyez, comme quoi on n’a pas besoin de faire de longues études pour voter !

Quel regard portez-vous sur le casting gouvernemental, avec l’arlésienne Françoise Nyssen ou Nicolas Hulot par exemple ?
Ce sont quand même des choix qui portent sur l’émotionnel. Françoise Nyssen, du fait qu’elle soit présidente d’Actes Sud, qu’elle ait monté à Arles une école alternative, on s’attend évidemment à ce qu’elle soit proche de la Culture. De la même façon, on espère que Nicolas Hulot défende vraiment l’écologie. Mais il s’agit de la vitrine. Tous les postes qui relèvent de l’argent, de l’économie, de la finance, ont été attribués à des personnalités de droite, opposées à toute régulation. Nicolas Hulot me fait penser aux étiquettes mentionnant « avec du blé complet » sur les paquets de céréales de Nestlé. C’est le petit truc vert qui fait qu’on achète l’emballage. Par moment je me dis qu’il vaudrait mieux qu’on n’ait pas au Hulot au gouvernement pour que ce dernier apparaisse tel qu’il est : néfaste. Et qu’on repose le paquet et tout ce qu’il y a de pourri dedans…

Jusqu’à quel point assumez-vous un engagement politique ?
Je suis engagée dehors ! Pas dedans. Je fais beaucoup plus de politique en parlant très fort avec toute ma liberté en dehors des appareils politiques. Concernant les classes médias par exemple, j’ai l’espoir d’avoir permis quelque chose en interpellant dans deux ou trois chroniques, dont une en direct face à elle, Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de l’Education. Le débat a été relayé via France Inter, Twitter, et, au final, des classes censées être supprimées ont été maintenues. C’est une petite victoire !

Le centre social à Aubagne, où votre vocation est née, a fermé. Toutes les MJC se débrouillent avec des moyens dérisoires pour répondre à une demande sociale exponentielle. Pourquoi ces structures, dédiées à l’éducation populaire, sont -elles ainsi délaissées ?
Les enfants qu’on éduque, auxquels on apprend des choses en permettant parfois de découvrir leur vocation, deviendront demain des ados puis des adultes sympas. Mais ce sont donc des fruits qui se récolteront dans dix ans. Or un élu qui a actuellement un mandat politique de cinq ans, n’a quasiment aucun intérêt à travailler sur la durée. C’est même pour lui mieux de pouvoir dire « regardez, notre région a fait des économies en réduisant les dépenses publiques ».

Avez-vous encore le temps de suivre l’actualité locale ?
Oui, Marseille et ses écoles publiques sans chauffage… J’ai aussi, pour la première fois, participé au dépouillement dans un bureau de vote à Aubagne pour l’élection présidentielle et les législatives. Je conseille franchement à tout le monde de faire ça au moins une fois dans votre vie. C’est assez sympa : en plus on côtoie des gens de tous bords sans savoir forcément lequel et ça donne lieu à des situations assez cocasses.

Vous enregistrez aujourd’hui un message de soutien pour le Ravi dont la trésorerie n’est pas au mieux. Comment assurer durablement l’indépendance des médias ?
Pour assurer leur indépendance financière et d’idées, dans l’idéal, la meilleure façon c’est d’avoir beaucoup d’abonnés et de s’affranchir des institutions publiques. Mais en même temps, celles-ci devraient pouvoir financer des projets tout en acceptant d’être critiquées. Sur France Inter, on peut se moquer allègrement du fait que Mathieu Gallet, le PDG, ait acheté pour 100 000 euros de moquette et rappeler qu’il sera bientôt jugé. A partir du moment où je peux critiquer mon patron sans que, derrière, on me coupe mon salaire, c’est que je travaille quand même dans une maison plutôt saine.

Mais votre patron se dit peut-être lui aussi que Ferroni c’est comme le « avec du blé complet » sur les paquets de céréales !
Oui il se pourrait que je serve parfois aussi à une forme de greenwashing. Du genre : « regardez la bouffonne, comme elle peut faire des bonnes blagues » !

Propos recueillis par Michel Gairaud, Rafi Hamal et mis en forme par Thomas Desset