Dégun sans stage, tu parles d’un défi !

décembre 2019 | PAR Kaltouma Maaskri, Marie Capraro, Thierry Dargent
Si l’emploi est un sujet essentiel pour les habitant-es des quartiers populaires, celui de l’accès aux stages l’est encore plus, en particulier celui de découverte de l’entreprise de 3e. C’est aussi le constat dressé par Christophe Baralotto, co-fondateur de l’entreprise marseillaise ProvePharm (13e arr.) Pour essayer d’y répondre, en 2016, il a lancé Dégun Sans Stage (1). Un défi accompagné par l’école centrale de Marseille.

Pourquoi créer un tel réseau ?

Christophe Baralotto (ProvePharm) : « Nous trouvions le paradoxe étonnant. Le Technopole c’est l’excellence académique, la recherche au plus haut niveau dans le monde. À côté il y a des quartiers où la vie est plus compliquée. Nous nous sommes dits: si chaque entreprise accueille un, deux, trois jeunes, on a résolu le problème des stages. Et c’est Degun Sans Stage (voir ci-dessous).

Ça demande beaucoup d’énergie. Il faut convaincre les entreprises d’accueillir les jeunes au-delà de ceux qu’elles reçoivent déjà. D’ouvrir à ceux qui n’ont pas la chance d’avoir le bon réseau. »

Comment encourager les jeunes dans cette démarche ?

Mathilde Chaboche (Ecole centrale Marseille) : « En 3e c’est un stage de découverte destiné à un très jeune public. L’objectif est avant tout la découverte. Du monde extérieur et de soi-même. Nous croyons beaucoup à l’effet de mobilité. Au fait de sortir de son quartier pour rencontrer des gens que l’on ne croise pas en bas de chez soi. Cet effet de déplacement est extrêmement fécond pour les jeunes.

Nous organisons des ateliers dans les collèges où l’on parle projets d’avenir, orientation, encouragements. Le stage est un prétexte pour accompagner le jeune dans la construction de la confiance en soi et des projets. »

Comment intégrez-vous la notion de réseau, d’alliance, du comment on est ensemble ?

M. C. : « Il n’y a pas de recette toute faite. C’est l’expérience. Le fait de réaliser ensemble. Une première boucle fonctionne, ça crée de la confiance. On fait entrer de nouveaux collèges dans le dispositif. Nous réunissons régulièrement tous nos interlocuteurs pour travailler ensemble. Réfléchir à ce que l’on fait. Comment se transmet l’information.

En 2018, plus de 200 entreprises nous ont soutenu. En fin d’année, nous avons organisé un événement avec tous nos partenaires, les jeunes, les collèges, les familles… Cette soirée a permis des tas d’échanges entre tous ces gens qui habitent, parfois, sur des planètes un peu différentes. Il faut prolonger cet effort là. Parce que le plus simple, c’est que chacun reste dans sa case, sans se rencontrer. »

Comment tissez-vous ce réseau avec les entreprises ?

C. B. : « Je leur dis qu’il faut faire cet effort. Que c’est le rôle d’un acteur économique que d’accueillir ces gamins qui n’ont pas d’autres possibilités. Je leur dis aussi que la plupart du temps, ils seront surpris. Positivement. Cette année, dans le mail que j’envoie, j’ai joint le témoignage d’une banquière privée. Elle explique comment ça lui a permis de réfléchir sur sa situation, sur sa ville, sur ses propres enfants. Que ça lui a fait du bien.

Quand ces gamins débarquent, ils n’ont pas les mêmes codes. Ça part parfois un peu dans tous les sens. Mais c’est de l’énergie. La plupart du temps, c’est bienveillant, de part et d’autre. Très majoritairement, ça se passe extrêmement bien. »

C’est uniquement un réseau d’entreprises privées ou y-a-t-il des associations, des institutions publiques ?

M. C. : « Principalement, le réseau est constitué d’entreprises privées, de toutes tailles et dans tous les domaines. Beaucoup sont dans le secteur des services parce que ce sont des entreprises que l’on connait le plus pour travailler avec elles. Mais nous mobilisons tous nos partenaires, des laboratoires de recherche aux structures publiques de tous types. Toute la famille des associations joue le jeu. Dans un tas de milieux, culturel, social, éducation. Elles sont très ouvertes. »

S’agit-il d’un réseau local ou est-il plus étendu ?

C. B. : « C’est un réseau local. C’est déjà une petite aventure de traverser Marseille. On peut difficilement imaginer envoyer les jeunes à Aix, Aubagne ou Vitrolles. C’est dommage parce que ce sont des bassins d’emplois incroyables. En 2018, la Société du Canal de Provence, à Aix, a accueilli 12 jeunes. Ensemble nous avons co-financé un bus qui venait au collège Edmond Rostand (13013) récupérer les jeunes, les amener à l’entreprise et les raccompagnait à Marseille le soir. Si l’on pouvait multiplier ce genre d’opération, nous le ferions. Mais ça coûte 2 000 € la semaine. Si l’on a une entreprise qui a envie et joue le jeu, ça marche. Sinon, c’est plus compliqué. Donc, pour l’instant, c’est essentiellement un réseau local. »

Existe-il un réseau d’informations entre stagiaires ?

M. C. : « Pas pour l’instant. Il y a le bouche à oreille dans les collèges, dans les familles. Ce sont des jeunes issus des mêmes quartiers qui se voient et se racontent leurs expériences. Mais, pour l’instant, nous n’avons pas encore déployé ce genre d’outils. »

Comment capitaliser ces expériences ?

M. C. : « À Centrale Marseille, nous développons ce type d’actions depuis 2005. Avec Degun Sans Stage, nous avons densifié les ateliers. Nous travaillons sur la recherche de stages, la mobilité et les codes de l’entreprise. Arriver à l’heure, dire bonjour, respecter le cadre du stage, les tenues adéquates. On essaie de transmettre les informations, les ingrédients nécessaires. Mais nous ne sommes pas des magiciens. Il y en a certains qui vont entendre, comprendre et se positionner comme il faut. D’autres pour lesquels c’est un peu une posture d’opposition, de rébellion et qui n’appliqueront pas ces codes…

On travaille aussi sur la posture. Pour qu’un stage d’observation se passe bien, il faut que le jeune soit actif. S’il reste planté là, assis sur sa chaise, ça va lasser les professionnels qui l’accueillent. Et du coup, il n’en tirera pas grand chose.

L’année dernière, on a tourné un petit film où les jeunes y témoignent de leurs expériences, de ce qu’ils ont vécu, appris… Et c’est super éclairant pour les autres. À la limite, plus que ce que nous, adultes, pouvons leur raconter. Ils voient des jeunes qui leur ressemblent, qui ont sensiblement le même âge qu’eux et dont le stage s’est bien passé. Et c’est super motivant… »

Propos recueillis par Marie Caprano, Kaltouma Maaskri et Thierry Dargent

Infos : http://www.degunsansstage.fr/

Dégun… ça fait du monde

En 2016, Christophe Baralotto, boss de la société marseillaise ProvePharm Live Solution, dresse un constat. Les collégiens des quartiers prioritaires de la capitale phocéenne sont des cumulards. Non content d’habiter des cités dégradées, ils rencontrent des difficultés pour se déplacer et n’ont que peu d’activités à portée de main. Mais en plus, quand arrive le temps des stages, ces collégiens et collégiennes ont toutes les peines du monde à être accueillis dans les entreprises. Faute de réseaux suffisamment étoffés, ils se retrouvent souvent à faire le siège des associations ou commerçants de leur quartier. Seulement, les possibilités qu’offre ce schéma sont restreintes.

Le chef d’entreprise refuse la fatalité et choisit de s’attaquer au problème de front en mettant sur pied un défi : Degun Sans Stage. La première année, 120 stages sont proposés. Mais, comme il l’explique lui-même : « Notre message n’était pas bien passé. » Résultat, seule la moitié de l’offre trouve preneur.

L’homme ne se décourage pas et fait appel à Centrale Marseille, l’école d’ingénieurs locale, pour améliorer l’opération. C’est Mathilde Chaboche, coordinatrice du Labo Sociétal de l’institution universitaire, qui prend le relais. Co-financé par des institutions publiques et des entreprises, Degun Sans Stage est aujourd’hui piloté par Centrale Marseille, la préfecture, le rectorat et le Conseil départemental 13.

En 2018, la barre des 500 propositions destinées aux élèves de 10 collèges est franchie. Cette année, l’ascension continue. Près de 120 entreprises marseillaises ont répondu à l’appel. Ainsi, les adolescent-es de 16 collèges vont pouvoir piocher dans les quelques 500 offres déjà disponibles.

L’objectif affirmé par Mathilde Chaboche, son équipe et ses partenaires est d’arriver à 700 stages proposés par 200 entreprises. Si le défi est immense, l’engagement et la détermination des cinq personnes qui s’y collent quotidiennement ne l’est pas moins. Ainsi, Sophie Dominique, cheffe de projet, se rend-elle régulièrement dans les établissements pour y tenir des ateliers au cours desquels elle rencontre et informe les équipes pédagogiques sur la teneur du Défi.

Et pour parfaire l’opération, les missionnaires du Labo proposent leurs ateliers « Top Départ ». Deux semaines avant le début des stages, on parle codes de l’entreprise et préparation à la découverte. En 2019, ce seront près de cinquante de ces temps de rencontre et d’échanges qui auront été conduits par l’équipe du Labo Sociétal.

T.D.