« Rappelons la nature de l’extrême droite »

octobre 2014 | PAR Michel Gairaud, Rafi Hamal
Elsa Di Méo, co-fondatrice du Forum républicain, invitée de la Grande Tchatche

le Ravi : Le FN a-t-il changé ?
Elsa di Méo : Son audience s’est élargie mais le Front national est toujours convaincu qu’il existe en France un ennemi de l’intérieur à combattre, à savoir l’immigré. Ses électeurs sont toujours portés par la xénophobie et le racisme, par le repli sur soi. La préférence nationale est toujours le projet politique du FN.

Lors des grandes victoires du FN, une partie de la France descendait dans la rue. Aujourd’hui, ce n’est plus cas. Comment expliquez-vous cette banalisation ?
Des succès électoraux qui étaient des surprises ne le sont plus. Nous devons relever la tête et reprendre le combat pour rappeler la nature de l’extrême droite.

Aux municipales à Fréjus, devancée par le FN et la droite, vous vous êtes retiré au second tour sans donner de consignes de vote, renonçant à siéger dans l’opposition. Vous n’avez pas de regret ?
Je ne regrette rien. C’était une manière de montrer aux habitants que leurs intérêts passaient avant les miens. Mais ce n’était pas à moi d’arbitrer les dérives de cette droite affairiste varoise ou fréjusienne. A droite, lequel j’aurais dû soutenir ? Celui qui disait que le FN et le PS étaient la même chose et la mosquée une ineptie (Ndlr Philippe Mougin, UMP), ou le candidat qui était tombé pour prise illégale d’intérêt (Elie Brun, ex-UMP) ? Nous devons prendre à bras le corps la question de la morale et de l’éthique en politique.

Le PS n’a pourtant pas exclu Jean-Noël Guérini, le président du conseil général des Bouches-du-Rhône, mis en examen pour « association de malfaiteurs » et toujours accroché à ses mandats…
Le PS ne pouvait pas exclure Jean-Noël Guérini du parti avant que la justice ait fait son travail (Ndlr le ministère public a requis un an d’inéligibilité pour « détournement de fonds public »). Mais sa position doit être désormais claire, nette et précise. Je suis ravie de celle prise par Jean-Christophe Cambadélis (Ndlr le 1er secrétaire du PS) qui a fermé la porte à toute éventualité d’alliance avec Guérini (Ndlr il a fondé son mouvement politique « la force du 13 »).

Signataire de la charte Anticor contre la corruption, vous n’avez rassemblé que 16 %. Pourquoi est-ce le FN qui a raflé la mise, face aux dérives affairistes du maire sortant ?
Le FN développe par supercherie une thématique de “je lave plus blanc que blanc”. C’est loin d’être vrai. Mais cela pose la question de la capacité des partis politiques et de la gauche à contrer l’affairisme politique.

Pourquoi l’électorat est-il allé vers David Rachline ?
Sur les questions identitaires, de xénophobie et de racisme, la campagne municipale s’est faite notamment concernant la mosquée de Fréjus ; il y a eu un déferlement de haine qui a trouvé une adhésion.

La gauche déçoit. Est-ce d’abord cela qui libère un espace au FN ?
Je ne crois pas. La deuxième phase de montée du FN, après les années 80, arrive sous Nicolas Sarkozy. Nous avons un vrai problème aujourd’hui d’adhésion à ce qu’est le « vivre ensemble » et au pacte républicain. C’est cela qui contribue au reniement démocratique. La gauche doit mener une bataille culturelle et idéologique, un combat populaire contre le FN.

Majoritaire au Sénat et à l’Assemblée nationale, la gauche n’a pourtant pas accordé le droit de vote aux étrangers qu’elle promet depuis des décennies. Pareils renoncements ne favorisent-ils pas l’abstention ?
Je fais parti des gens qui ont signé des pétitions pour demander que l’on tienne nos engagements sur le droit de vote des étrangers. Mais en quoi ce renoncement a-t-il fait voter FN ? Quant à l’abstention, 76 % de la population est allée voter à Fréjus lors des municipales. Dans les villes FN en Paca, on a plutôt assisté à des phénomènes de mobilisation de l’électorat entre les deux tours venant au secours des candidats FN. Je reste toutefois consciente que la population française boude les urnes, que le Président de la République est très impopulaire et que la gauche peine à donner un sens à tout ça.

Au PS, de nombreuses voix regrettent que le gouvernement, très occupé à gérer l’ordre libéral du monde, déserte le terrain sur lequel on attend la gauche : la justice sociale… Votre avis ?
Sans nier les effets des difficultés économiques et sociales, je ne crois pas que si nous les résolvions, cela mettrait un terme à la progression du FN. Dans les années 2000, lorsque Jospin créait un million et demi d’emplois, relançant la croissance et le pouvoir d’achat, cela ne lui a pas évité d’être évacué du deuxième tour de la présidentielle. Bien sûr il nous faut entendre et répondre à la demande de justice sociale, mais nous ne nous faisons pas d’illusion sur les effets directs à attendre concernant le FN.

Admettez-vous que François Hollande déçoit ?
Comment ne pas admettre que le président déçoit, y compris dans son camp ? J’ai été par exemple très déçue concernant le report de la réforme fiscale ou de celle sur le non cumul des mandats. Les propos du ministre de l’économie en faveur du travail le dimanche sont une erreur…

Avec 19 % de chômage à Fréjus, les habitants ne sont-ils pas davantage préoccupés par l’emploi que par une crise identitaire ?
Non, je ne crois pas. Quand je parle avec des électeurs du FN, ils n’évoquent pas d’abord la situation économique. Ils affirment qu’il y a trop de musulmans à Fréjus, qu’il faut mettre les arabes dehors. Sans nier la question sociale, je constate que le plus gros sujet sur lequel nous devons travailler pour contrer le FN, ce ne sont les questions identitaires, de vivre ensemble, de modèle de société.

La moitié des grands électeurs qui ont élu les sénateurs Stéphane Ravier à Marseille, et David Rachline à Fréjus, viennent des rangs de la droite républicaine. C’est une surprise ?
Mais je m’y attendais ! Dans le centre-Var, il y a beaucoup de sympathisants d’extrême droite élus aux municipales sur des listes divers droite ou sans étiquette. Et puis des frontières sont en train de céder à droite. C’est le moment de remettre des digues et de clarifier les positions de l’UMP.

Le FN, parti autoproclamé « anti-système », au pouvoir dans une mairie, cela donne quoi ?
Un parti qui, aussitôt élu, augmente les indemnités de ses adjoints et en crée de nouvelles dans les syndicats intercommunaux, qui obtient le soutien du patron du BTP dans l’Est var se réjouissant de n’avoir jamais fait autant de business que depuis l’arrivée de David Rachline, qui avait promis de cesser le cumul des mandats et se retrouve avec un sénateur-maire : ce parti n’a rien d’anti-système ! Rachline a aussi déjà fait appel à ses copains de la Financière des territoires pour faire des audits bidon, à des sociétés événementielles comme la « patrouille de l’événement ». Il a déjà enfilé les pantoufles d’Elie Brun…

Le FN a déjà fermé le centre social de Fréjus…
En effet, ceux qui sont censés être les représentants de la “France oubliée” attaquent d’abord les plus pauvres lorsqu’ils arrivent au pouvoir ! A Luc-en-Provence (83), la mairie FN à aussi fermé une épicerie solidaire.

La première réunion du Forum républicain n’a rassemblé que 150 personnes à Fréjus…
Une mobilisation comme celle-là n’avait pas eu lieu à Fréjus depuis longtemps. Face au FN, les républicains doivent s’organiser pour combattre (…) Tout en étant dans la dénonciation, on essaye de promouvoir une alternative locale, en organisant des journées du vivre ensemble, une fête de l’Europe…

Faut-il ressusciter les grands rassemblements anti-FN type SOS Racisme ?
Bien sûr qu’il faut inventer des nouvelles façons de faire. Mais qu’est ce que j’aimerais que des artistes s’engagent à nos côtés pour venir faire des grands rassemblements à Fréjus ! On est un peu seul pour mener cette bataille…

L’extrême droite s’en prend à vos enfants « franco-algériens ». Le combat n’est-il pas parfois trop rude à porter ?
C’est le visage du Front national qui prétend avoir changé. Est-ce que nous avons le choix ? J’ai bien l’intention de mener le combat.

Propos recueillis par Michel Gairaud, Rafi Hamal et mis en forme par Laeticia Pepe