Sur le Vieux-Port, ça sent le Macron…

septembre 2021 | PAR Sébastien Boistel, Zoé Moreau
Enième visite du Président de la République à Marseille qui, en bon monarque républicain, vient au chevet d’une ville qui « cumule les handicaps ». le Ravi n’est pas accrédité par l’Elysée. Mais vous raconte tout !

C’est l’évènement de la rentrée ! La venue du président de la République, Emmanuel Macron himself, à Marseille ! Une ville qui « cumule les handicaps », d’après les éléments de langage distillées par le service com’ de la présidence. Il y a quelques années, le Ravi avait failli rencontrer en personne le locataire de l’Elysée. Cela n’avait pas été simple, on s’était perdu dans les entrailles de la mairie de Marseille, tombant nez à nez avec un des agents de son service de sécurité, avant d’être bloqué, comme la responsable de la com’ de la présidence, par la maréchaussée ! Finalement, après avoir franchi toutes les barrières, on n’était pas resté puisqu’il n’y avait, pour la presse, aucune possibilité de poser la moindre question au président de la République qui était là pour une « allocution ».

Là, c’est plus simple. Même si la visite présidentielle était annoncée depuis plusieurs jours, la « dead-line » pour être accrédité tombait en plein milieu du bouclage de notre numéro de septembre (à lire ici). Il aurait fallu envoyer notre demande lundi avant 15 heures. On l’a envoyé à 15h48 ! Et de nous confondre en excuses, en promettant qu’on recommencera plus, en indiquant qu’en tant que journal local, on n’a besoin ni d’hôtel, ni de train.  Pas même d’électricité !

Muselier covidé

Peine perdue. « Vous êtes largement hors délai », assène la chargée de com’ qui, dans une vie antérieure, a fait hôtesse chez Cartier mais aussi gestionnaire du contentieux auprès d’une mutuelle. Bref, c’est mort. Peu auparavant, au service de presse de la mairie, on nous laissait entendre que la ville de Marseille ferait en sorte que la presse locale ait quelque place. Finalement non. Et de nous renvoyer vers la préfecture qui, elle, ne peut pas faire grand-chose à part nous donner le programme détaillé des trois jours de visite de « Manu ».

De quoi nous donner quelque piste pour suivre la visite « de loin ». A la com’ de l’Elysée, on s’étrangle : « Comment ça, suivre de loin ? Vous n’êtes pas accrédité ! Vous ne pourrez accéder nul part ! » Pourtant, le programme est alléchant : une escale à la mairie pour se mettre en jambe, un passage dans l’après-midi par la cité Bassens, visite le soir d’un commissariat dans les quartiers nord et, le lendemain, d’une école avant la présentation de son plan « Marseille en grand » ! Et, comme c’est le début de la campagne présidentielle, une petite touche de « vert » avec l’ouverture du Congrès mondial de la nature.

Une pensée pour le très « macron-compatible » président de la Région Renaud Muselier qui, quoique dûment vacciné, a chopé le Covid et doit rester à l’isolement. Ce qui ne l’aura pas empêché de dégainer son communiqué pour annoncer « un milliard d’euros » pour les lycées ! Sa collègue du Département, Martine Vassal, n’est pas en reste : pour elle, cette visite, c’est « un nouvel espoir pour notre territoire ».

Ce week-end, au pied de l’IHU, le « fief » du professeur Didier Raoult, la venue du président de la République n’était pas appréhendée de la même manière par les manifestants anti-pass. Et de lui promettre un comité d’accueil en bonne et due forme…

Comité d’accueil à la gare

La cité phocéenne commence à résonner de sirènes tandis que des portions d’autoroute ferment pour que Manu n’ait pas à subir les affres de la circulation dans la ville la plus embouteillée de France. A la gare St-Charles, une petite main de la préfecture attend avec son panneau « Presse – visite officielle » – nos collègues parisiens venus, valise à roulette et caméra à la main, en TGV. Visiblement des habitués : aucun n’est en pull et la plupart ont déjà chaussés les lunettes de soleil. C’est Marseille, bébé !

Sans surprise, du haut de la Canebière jusqu’au Vieux Port, la ville est repeinte en bleu marine. L’hôtel de ville a été transformé en annexe de Fort Knox. « Ils déplacent combien de bonhomme ?! », s’époumone, avec l’accent, un badaud. Tandis que le député LREM Saïd Ahamada tripote son écharpe tricolore en attendant de passer les barrières, une dame dit tout le mal qu’elle pense, pêle-mêle, de Macron (« Il est pire que Marine Le Pen ! »), du vaccin et des « merdias ».

« Moi je suis intégrée, je mange du jambon. »

Une manifestante anti-Macron d’origine algérienne

Un début de manifestation s’improvise autour d’un vieux monsieur qui, enceintes dans son sac à dos et grande gueule, invective les « moutons », les « corrompus », les « vaccinés » : « Eh, Macron, on t’aime comme le 51, bien noyé ! » Les barrières s’ouvrent et, avec sa carte de presse et son air innocent, le Ravi en profite.

Ce qui nous permet de voir de près la banderole déployée : « Réponse de Macron aux gilets jaunes : 2 500 blessés, 26 éborgnés, 5 mains arrachées ». Notre glorieuse stagiaire reste avec les manifestants qui, au bout de quelques minutes, se font ventiler vers le Vieux Port par les gendarmes. L’occasion pour elle de se faire conspuer parce qu’elle est vaccinée mais aussi de discuter le bout de gras avec une dame d’origine algérienne qui, désormais, « vote Le Pen ! Moi, je me suis intégrée, je mange du jambon ». Et la version enfantine de Jul d’asséner : « Moi, j’aime pas Macron. Personne l’aime ici ! »

le Ravi, de son côté, sait qu’il ne va pas pouvoir faire illusion très longtemps. Car la responsable de la com’ de l’Elysée vient de poser sa petite table à l’entrée de la rue et vérifie, listing sous les yeux, qui est accrédité et qui ne l’est pas. Avec l’air de ne pas y toucher et notre carte de presse, on demande innocemment si personne ne s’est désistée : « Vous n’êtes pas accrédité, vous n’allez pas pouvoir rester », rétorque-t-elle, aimable comme une porte de prison.

De guerre lasse, on rejoint l’autre côté de la mairie où un comité d’accueil un peu plus conséquent – ils sont quelques dizaines à manifester-  se presse le long des barrières. Ca y est, le cortège présidentiel, flanqué d’une palanquée de ministres, arrive, sous les huées. « Macron, démission ! Ton pass, on n’en veut pas ! » Une petite dame à la voix chevrotante entonne : « On vient te chercher chez toi ! » Même les gendarmes ne peuvent s’empêcher de sourire. Comme lorsqu’ils entendent : « Darmanin aux Baumettes ! »

Tandis que, sous les lambris de la mairie de Marseille, le président de la République salue une bonne partie du personnel politique local avant d’annoncer quelques milliards ici et là pour les écoles, les transports, le logement, on lève le camp. On ne suivra pas la meute pour la suite. Et on se console en disant que, pour leur retour à l’ombre des tableaux noirs, nos minots ont au moins la chance de ne pas avoir à se fader, comme à l’école Bouge dans les quartiers nord, une visite du locataire de l’Elysée. La rentrée des classes, c’est déjà suffisamment pénible comme ça !