Le front se fissure

mars 2020 | PAR Jean-François Poupelin
Mantra politique des années 90 et 2000 face au FN, le front républicain fait de moins en moins recette face à l'extrême droite. Y compris à gauche.

A l’image d’une jeunesse qui emmerde de moins en moins le Rassemblement national, la gauche n’arrive plus à faire front. A Marseille, les deux listes de gauche, Debout Marseille, menée par EELV, et le Printemps Marseillais, un rassemblement de partis de gauche, d’écologistes et de citoyens, ont ainsi échoué à former une liste unique dans les 13e et 14e arrondissements, un secteur gagné en 2014 par le sénateur Stéphane Ravier, tête de liste RN sur la ville.

Pire, au final il y aura quatre listes de gauche en lice face à lui ! Mi-janvier, des militants du secteur avaient pourtant appelé à l’union pour battre l’ex FN. « L’appel visait à faire une liste de second tour au premier, rappelle Sami Joshua de la France insoumise. A cause des difficultés de Marseille, mais aussi parce qu’il faut mobiliser les quartiers populaires pour battre le FN. » L’objectif étant d’arriver deuxième pour imposer un bon vieux front républicain et le désistement de la droite, et éviter la triangulaire fatale de 2014. Un scénario catastrophe dont certains espèrent qu’il fera « jurisprudence » cette année, à Marseille notamment, pour reprendre le mot de l’ancien secrétaire départemental du PS 13, Jean-David Ciot. En résumé : le retrait de la liste arrivée en troisième position lorsque le FN est premier.

Si le Parti socialiste ne s’est pas positionné, c’est officiellement la doctrine de la République en Marche (LREM). Elle a fait du combat contre l’ancien Front sa stratégie électorale. « Nous demanderons à nos candidats qui seront en troisième position au premier tour de fusionner ou si ce n’est pas possible de se retirer en faveur du candidat républicain le mieux placé », expliquait ainsi dans les colonnes de La Provence Stanislas Guérini, le délégué général du parti présidentiel.

Bas du front

C’était fin janvier, à l’occasion d’un déplacement de soutien à Yvon Berland, le candidat LREM à Marseille, et d’une réunion régionale sur le thème de la lutte contre l’extrême-droite à Saint-Raphaël, la voisine de Fréjus (83), autre ville gagnée par l’ex FN en 2014. Un territoire où Stanislas Guérini a encore du boulot : il se raconte qu’un véritable front républicain y aurait été possible sans les interférences de Philippe Michel-Kleisbaueur, le député LREM du cru. Résultat, cinq ou six listes font face au sortant David Rachline, ancien sénateur et ex porte-parole de Marine Le Pen. Et encore, « deux ont décidé de fusionner depuis la publication mi février d’un sondage donnant Rachline vainqueur au premier tour avec 51 % des voix », se rassure Marie-José De Azevedo, une militante du Forum républicain, association qui s’oppose au maire de Fréjus. Et de soupirer : « Ça a un peu ébranlé tout le monde. »

A la décharge de Stanislas Guérini, la position de LREM est loin de faire l’unanimité. Chez ceux qui la partagent, comme EELV, mais aussi dans les rangs du parti du président. « Si on est très faible et qu’il y a un risque de victoire du RN, on se retirera, sinon ce sera au cas par cas », prévient ainsi Bertrand Mas-Fraissinet, le référent des marcheurs dans les Bouches-du-Rhône. Une position que partage le candidat EELV à Marseille, pour une autre raison. « Il y a un risque FN et on veut éviter qu’il ne gagne le moindre secteur. Mais aujourd’hui, le mouvement contre lui est évolutif à cause de la porosité droite-RN. Dans le « 9/10 » ou le « 11/12 », on ne se désistera pas pour des candidats de droite extrême », prévient Sébastien Barles.

« Des gens qui étaient encore pour le front républicain en 2015 disent aujourd’hui que c’est un piège électoral », abonde Laurent Lhardit, socialiste marseillais candidat dans les 1er et 7e arrondissements sur la liste du Printemps Marseillais. « Les régionales 2015 sont un tournant important, c’est la première fois que la gauche est amenée à se retirer sur un territoire aussi important pour un candidat de droite tel qu’Estrosi, qui a l’époque est l’homme de la 5e colonne, note le politologue Joël Gombin. On verra ce que donneront les départementales et les régionales de l’année prochaine, mais il n’est pas certain que ça fasse encore consensus et que ça se reproduise. Depuis 2010-2012, les cas de conscience se sont multipliés et la capacité d’indignation s’émousse… »

« Un récit mobilisateur des partis face au FN » Joël Gombin

Ce spécialiste du vote du FN parle d’ailleurs de « mythe » à propos du front républicain. « Ça ne veut pas dire qu’il n’a pas existé, mais qu’il est un récit mobilisateur de la part de partis politiques face au FN, alors que les comportements face à lui sont variables dans l’espace et dans le temps », poursuit l’universitaire. Et de préciser : « Il vise notamment à produire un effet à gauche, une gauche qui perd son identité sociale et idéologique depuis la fin des années 90. »

A droite, le problème est de fait différent. Depuis Nicolas Sarkozy, l’ex-UMP puis LR s’est aligné sur les thèses de la famille Le Pen en matière de sécurité et d’immigration. Tout particulièrement dans le sud-est de la France où la proximité FN-droite est forte sur fond de guerre d’Algérie et d’antigaullisme selon Gombin. « Il faut que les électeurs soient mis devant leurs responsabilités, plaide ainsi Julien Aubert, député d’Apt et candidat malheureux à la présidence des Républicains. Nous, au second tour, on porte des projets contre ceux de LREM et du RN. » Et de souffler : « Le front républicain me met mal à l’aise, il accrédite la thèse du “tous pareils”. »

Au regard des scores de l’ancien front, il semble surtout de moins en moins efficient. Joël Gombin : « Le poids du FN semble totalement intégré. A Marseille, la presse parle plus volontiers des listes à 7 ou 8 % que de ses 25 %. » Autre preuve que ce front républicain se fissure.