« Face aux villages gaulois entourés de barbelés »

janvier 2018 | PAR Michel Gairaud, Rafi Hamal
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Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
Mohamed Laqhila, député Modem et LREM des Bouches-du-Rhône, invité de la Grande Tchatche

le Ravi : Vous avez défendu plusieurs amendements relatifs à votre profession. Au risque d’un conflit d’intérêts ?
Mohammed Laqhila : Expert-comptable, c’est mon métier. Alors que député, ce n’est pas un métier mais une mission. Un expert-comptable sait ce qu’est la déontologie. J’assume de m’intéresser aux lois qui concernent la comptabilité et la fiscalité. En tant que sachant, je sais de quoi je parle. Lorsque je défends un amendement concernant ma profession, je le fais avec mon savoir, mes compétences techniques, mon éthique et mon professionnalisme.

Avec, comme vous, beaucoup de députés « marcheurs » issus de la société civile, le parlement ne se transforme-t-il pas en une assemblée de technocrates ?
Un homme politique doit savoir de quoi il parle lorsqu’il parle. Combien de ministres se réfugient derrière les avis des experts sans les comprendre ? Finalement, à ces ministres non spécialistes, on peut leur faire dire ce qu’on veut.

Pourquoi êtes-vous favorable à l’embauche par les députés de collaborateurs familiaux ?
Les épouses et enfants de députés travaillent plus que n’importe quel autre salarié. Et quand un député travaille avec une collaboratrice et finit par l’épouser, que faut-il décider ? Divorce ou licenciement ?

En tant qu’élu Modem, n’êtes-vous pas marginalisé dans la majorité présidentielle ?
Le Modem et LREM portent les mêmes idées. Il s’agit de dépasser les clivages. Quand une bonne proposition vient des Républicains ou des communistes, je veux pouvoir applaudir et dire « bravo ». François Bayrou a eu raison trop tôt : il faut arrêter avec le clivage droite/gauche !

Pourtant, même Jean-François Copé estime désormais qu’Emmanuel Macron « est en train de devenir le président de droite que les gens voulaient »…
En Europe, la France est le pays qui connaît le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé : près de 44 % du PIB. Que faut-il faire ? La réponse est libérer l’économie. Créer de la richesse, c’est créer de l’emploi, empêcher que nos entreprises s’installent à l’étranger et attirer de nouveaux investisseurs sur nos territoires.

Selon l’OFCE, les 5 % de ménages les plus aisés captent 42 % des gains générés par les premières réformes du gouvernement. Est-ce bien cela la politique du « en même temps » d’Emmanuel Macron ?
Nous avons commencé par libérer au maximum les entreprises. Les chefs d’entreprise, qui ont pourtant voté principalement pour François Fillon à l’élection présidentielle, me disent que la confiance revient. Or la confiance est le moteur de l’investissement. Ceux qu’on veut retenir, ce sont ceux qui créent de la richesse et donc de l’emploi.

A l’inverse la suppression des emplois aidés a laissé un grand vide, fragilisant un peu plus le monde associatif…
François Hollande a créé 500 000 emplois aidés à la fin de son mandat. C’était irresponsable. Il a voulu faire baisser le taux de chômage en subventionnant des créations d’emplois. Ce n’est évidemment pas une mesure pertinente afin de lutter contre le chômage à long terme.

Vous proposez de diviser par six le nombre de communes, passant de 36 000 à 6 000. Lesquelles supprimeriez-vous dans les Bouches-du-Rhône ?
Une commune de trente habitants est une aberration. Il faut au minimum mutualiser de nombreux services comme les piscines ou les écoles de musique. Dans ma circonscription, Septèmes-les-Vallons et Les Pennes-Mirabeau pourraient très bien être intégrées dans Marseille. Ces communes ne seront bientôt plus que des antennes de la métropole. Elles perdent leur utilité. Cependant, de telles décisions doivent être prises directement par les citoyens et non par les élus. Je fais confiance aux citoyens : ils sont pragmatiques et comprennent que les petites communes coûtent trop cher. Supprimer des communes ne plaît pas aux élus dont les fonctions disparaissent ; mais cela plaît aux citoyens qui réalisent des économies.

Est-il réaliste de supprimer le département des Bouches-du-Rhône, comme vous le préconisez ?
Le département des Bouches-du-Rhône doit fusionner avec la métropole Aix-Marseille afin qu’il n’existe plus qu’un seul interlocuteur institutionnel. Mais il faudrait revoir complètement le fonctionnement de la métropole. Pour l’instant, celle-ci est ingérable. Je ne sais pas comment Jean-Claude Gaudin parvient à répondre à toutes ces petites communes qui réclament leur part du gâteau.

Vous avez été élu des quartiers nord marseillais et êtes maintenant député du Pays d’Aix. Ces deux territoires peuvent-ils travailler ensemble ?
Il y a un problème de gouvernance de cette métropole, mais aussi un problème de relations humaines. Maryse Joissains-Masini (la maire d’Aix-en-Provence, ndlr) a déclaré : « Je ne veux pas me marier avec les mafieux marseillais. » De tels propos sont inacceptables. Dire que les Marseillais sont mafieux, en incluant tous les Marseillais, c’est répandre un cliché contre lequel on devrait au contraire lutter. C’est pourquoi j’en appelle à la responsabilité de tous les élus afin qu’ils poussent ensemble dans le bon sens au lieu de se mettre des bâtons dans les roues.

Que dire aux acteurs du Pays d’Aix qui ont peur de devoir supporter les difficultés de Marseille ?
Sur le territoire de la métropole, quelques villages gaulois s’entourent de barbelés. Ils pensent que s’ils investissent en matière sociale, tous les quartiers nord marseillais vont débouler chez eux. Ils oublient que des enfants du village ne peuvent plus se loger à Éguilles, à Cabriès ou aux Pennes-Mirabeau parce que les loyers y sont trop élevés. Face à cette situation, il faut une solidarité des territoires et non plus une guerre des territoires.

Le Front national traverse une crise interne. Mais comment combattre l’extrême droite dans la durée ?
Le Front national se nourrit de la misère, comme l’islamisme d’ailleurs. Pour combattre le Front national et tous les extrémismes, il faut donc se battre contre la misère. Créer de la richesse est la meilleure solution. Des gens qui ont un emploi et qui se sentent bien dans leur pays ne votent pas pour le Front national et ne partent pas faire le djihad. Les priorités des priorités doivent être l’école, la formation et l’emploi.

Vous êtes un des rares députés « issus de la diversité ». Cela signifie-t-il quelque-chose pour vous ?
Non, je suis un Français comme les autres. Bien sûr, qu’un député soit prénommé Mohamed peut déranger certains. Mais, dans l’ensemble, au XXIe siècle, les Français ne prêtent plus attention à ce genre de considérations.

L’uniformité sociale des députés – pas un seul ouvrier ! – pose-t-elle question ?
Je ne regrette pas du tout cette situation. Pour être élu à l’Assemblée nationale, il faut déjà en avoir envie. Il y a des gens qui n’ont pas envie d’être élus ! Ceux qui siègent aujourd’hui à l’Assemblée nationale l’ont certainement mérité.

Propos recueillis par Michel Gairaud, Rafi Hamal et mis en forme par Boris Barraud