Le téléphone pleure...

novembre 2020 | PAR Sébastien Boistel
La prévention du suicide, c’est parfois aussi simple qu’un coup de fil ! Rencontre avec Stéphanie qui travaille pour une association innovante, qui, depuis des années, assure un suivi des ados suicidaires.

On a beau avoir en Paca LE spécialiste de la fin de vie, le maire LR d’Antibes Jean Leonetti  (il a donné son nom à la loi ad hoc), côté suicides, notre région ne se distingue guère. Si la France fait partie des pays en Europe où le taux est le plus élevé, Paca reste dans la moyenne : la prévalence des pensées suicidaires est de 4,8 % et celle des tentatives de 7,6 %. En première ligne ? Les jeunes, les femmes, les personnes seules, au chômage…

L’Agence régionale de santé n’en a pas moins lancé cet été la déclinaison locale d’un plan de prévention national avec, notamment, le dispositif Vigilan’s, un service de veille et de recontact par téléphone des personnes ayant fait une tentative. À Marseille et dans les Bouches-du-Rhône, ce travail, l’association Asma (Association suicide et mal être de l’adolescent) le fait depuis des années auprès des adolescents (1). Éducatrice, Stéphanie y travaille depuis trois ans. Non loin de cette quadra prof de yoga, plusieurs téléphones. Elle n’est pas accro. C’est pour le boulot ! « Notre philosophie s’inspire de cette anecdote d’un médecin à San Francisco qui avait trouvé ce mot chez un patient qui venait de se jeter du Golden Gate : “Je vais sur le pont. Si quelqu’un me sourit en chemin, je ne sauterais pas”. Ça dit toute l’importance du contact. »

L’association, qui compte une demi-douzaine de salariés, accompagne chaque année plus d’une centaine d’ados : « Quand l’un d’eux fait une tentative de suicide (TS) et qu’il se retrouve aux urgences, la psy de liaison intervient et, à l’issue d’un bilan, peut l’orienter vers nous. Il arrive qu’il y ait une rencontre à l’hôpital mais l’essentiel de l’accompagnement se fait par téléphone. Pendant un an. Comme c’est dans les trois premiers mois que l’on est le plus fragile, dans cette période on les appelle tous les mois. Puis, encore trois fois. En cas de récidive, l’accompagnement est renforcé. »

« Ce sont des héros, ces gosses ! » Stéphanie de l’association Asma

Et de préciser : « Le but est de créer du lien. Mais on est toujours sur une ligne de crête. Parce qu’on n’est pas un service d’urgence : on n’est joignable ni la nuit ni le weekend. On n’est pas non plus un accompagnement psy. Avec, dans l’équipe, des médecins, une infirmière, une assistante sociale, l’approche est pluridisciplinaire. Et si on est là pour être utile, le but n’est pas de se rendre indispensable. »

De surcroît, ajoute Stéphanie, « on est en contact avec les ados mais aussi leur famille, l’entourage et toutes les structures qui peuvent les épauler. Le but est de mettre en place un suivi. Parce qu’au final, lorsqu’il y a une tentative de suicide, c’est rarement l’ado le problème ». Et notre éducatrice de pointer les « problématiques sociales » mais aussi la « pression scolaire » ou encore le « harcèlement », notamment sur les réseaux sociaux : « En fait, c’est plutôt rare, les enfants qui veulent mourir. Et, avec les ados que je suis, on parle assez peu de la mort. Derrière une TS, il y a un côté impulsif : c’est ce qu’ils ont trouvé pour faire baisser la pression, face à l’accumulation de pleins de petites choses. Un moyen de s’en sortir quand on se sent coincé. Mais aussi de mettre un coup de pied dans la fourmilière. »

Et, insiste-t-elle, « on ne fait pas de différence entre un ado qui a pris 3 cachets ou 50. On s’attache au geste ». Comme quand « l’un d’eux nous appelle un vendredi soir, en sachant qu’on n’est pas disponible le soir ou le weekend. On a beau être presque tous à mi-temps, le téléphone reste allumé du lundi matin au vendredi soir.» Ce qui n’empêche pas celle qui est mère de deux enfants de lâcher : « Ils sont émouvants, ces ados. C’est un âge tellement incroyable, tellement complexe. Ce sont encore des enfants et presque des adultes. Sans parler du monde dans lequel ils grandissent. Ce sont des héros, ces gosses ! »

D’ailleurs, pour s’adapter à leur outil de communication préféré, Asma participe à une étude en vue de l’expérimentation d’une appli mobile. Et ambitionne, en multipliant les partenariats, d’intervenir non seulement dans le « 13 » mais aussi dans les autres départements de la région. Parce que la prévention du suicide, ça peut être aussi simple qu’un coup de fil !

1. Plus d’infos : asma.care