Qui sont ces morts ?

novembre 2020 | PAR Clément Chassot
Tour d’horizon chiffré des moyens - multiples et variés - qu’emploie la grande faucheuse...

« Mourir ? Plutôt crever ! » scandait le dessinateur Siné. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, environ 50 000 personnes meurent chaque année. Rapporté à la population globale, c’est une moyenne légèrement inférieure qu’au niveau national. On meurt donc un peu moins dans notre belle région, mais on y crève quand même. D’abord, comme partout ailleurs, de cancers : plus d’un quart de la mortalité ! 12 000 personnes entre 2009 et 2013, dont 2 649 des poumons. Et 900 femmes succombent chaque année au cancer du sein. Petite spécificité locale, l’exposition au soleil et les mélanomes (cancer de la peau). Jusqu’à + 19 % dans le Var comparé au reste du pays ! La mortalité cancéreuse semble être la plus forte selon l’Observatoire régional de la santé (1) dans le département du Vaucluse. On y aurait 6 % de plus de chances d’en mourir avec un pic à 13 % pour les cancers du sein.

Après les cancers, avec 11 500 morts, la principale cause de décès sont les maladies de l’appareil respiratoire : les accidents vasculaires cérébraux (AVC), les insuffisances cardiaques, pneumopathies, l’asthme, la grippe… Et nouvellement le Covid, plus de 1600 morts en Paca depuis le printemps 2020 ! Si les cancers et ces maladies ont des origines nombreuses, la pollution atmosphérique joue un rôle non négligeable et de plus en plus reconnu dans ce qu’on appelle des « morts prématurées ». Selon Laëtitia Mary, responsable du pôle action territoriale à AtmoSud, 4 500 décès évitables sont liés à la pollution atmosphérique « ce qui représente un réel enjeu sanitaire ». Maladies des voies respiratoires, AVC, infarctus du myocarde, asthme, cancers des poumons…

Cancers number one

Mais toujours selon cette association régionale de surveillance de la qualité de l’air, l’exposition aux polluants est en baisse. En 2019, sur les 5 millions d’habitants que compte la région, 935 000 personnes étaient exposées aux particules fines à des seuils de pollution supérieurs aux normes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), principalement autour des grands centres urbains. Soit 35 % de moins qu’il y a huit ans. Toutefois d’autres particules inquiètent depuis quelques années : les ultrafines, inférieures à 0,1 micron. Plus difficiles à mesurer, elles ne font pas l’objet d’un cadre réglementaire et peuvent pénétrer l’organisme en profondeur. Leur impact sanitaire « est beaucoup plus nocif », explique le pneumologue Denis Charpin, ancien professeur à l’université d’Aix-Marseille et président de l’association pour la prévention de la pollution atmosphérique.

« La mort, c’est dans l’ordre des choses »  Marc Rosmini

Mais les chiffres de la mortalité évitable – celui de 68 000 décès prématurés sont évoqués au niveau national – sont sujets à caution : « Ces 68 000, sur le plan national, ou 4 500, sur le plan local, correspondent au nombre de morts si aucune pollution n’était émise par l’activité humaine. De plus, les méthodes de comptage évoluent au fil des années », alerte Denis Charpin. Selon AtmoSud, si les seuils étaient respectés en Paca, le nombre de décès chuterait à 2 000. Reste que l’inquiétude autour du très industriel étang de Berre dans les Bouches-du-Rhône est plus que pesante. Si la littérature se contredit encore sur le sujet, pour Daniel Moutet, président de l’association de défense et de protection du littoral du golfe de Fos (ADPLGF), c’est clair : « Les dernières études montrent bien qu’il y a plus de mortalité ici, de cancers, d’asthme et de diabète. » S’il indique que les industriels commencent à faire des efforts, « cela ne va pas assez vite ! ». Et le pneumologue Denis Charpin de regretter qu’aucun registre sérieux des cancers ne soit tenu sur le territoire.

Même si on a tendance à se suicider un peu moins en Paca, on dénombre environ 700 décès par an avec une surmortalité dans les Alpes-de-Haute-Provence (+ 35 % par rapport à la région). Ce département est d’ailleurs celui où l’espérance de vie est la plus faible : 79 ans pour les hommes et 84,6 pour les femmes. Suicides donc mais aussi beaucoup d’accidents de la route (+ 4,7 %), accidents de la vie courante (+ 24%) et forte concentration de personnes âgées : un tiers des habitants sont retraités et 12 % ont plus de 75 ans. Des spécificités que confirment le docteur Philippe Karpoff, chef du Samu à Digne-les-Bains. « Les routes sont plus accidentogènes et de nombreux motards décèdent. C’est vrai que de nombreuses personnes âgées vivent dans le département. Le problème c’est qu’elles sont souvent isolées et peu suivies médicalement. Il n’y a pas assez de médecins généralistes malheureusement, ce qui provoque à terme beaucoup plus de décès. »

Spécialités locales

Avec une tendance à la baisse, 303 personnes ont cassé leur pipe sur les routes en 2019, dont plus de 100 dans les Bouches-du-Rhône. L’alcool est responsable une fois sur deux. En ce qui concerne les accidents du travail, 121 décès sont à déplorer. L’une des spécificités historiques régionale, avec l’Ile-de-France, concerne la surmortalité due au Sida. Notamment à Nice et dans les Alpes-Maritimes : entre 2011 et 2015, elle a presque atteint plus de 50 % par rapport au reste de la région ! « Difficile d’identifier les causes exactes du phénomène, explique Erwann Le Hô, président du centre LGBT Côte d’Azur et vice-président de la coordination VIH pour l’est de la région. La communauté LGBT est très présente sur la côte d’Azur, attire des touristes LGBT ou des Italiens qui peuvent mieux vivre leur sexualité de ce côté-là de la frontière. » Mais il explique que grâce à plusieurs dispositifs de prévention et des campagnes massives de dépistage gratuit, le taux de contamination sur le territoire a baissé de 40 % entre 2015 et 2018, « la chute la plus spectaculaire en France ». Entre 2011 et 2015, le Sida a causé en Paca un décès pour 100 000 habitants, soit 50 environ. C’était plus du double entre 2005 et 2009.

Autre spécialité locale, les morts causées par des catastrophes naturelles, comme dans l’arrière-pays niçois le mois dernier (voir page 21). 531 entre 1987 et 2016. Inondations, feux de forêt, avalanches… La région est très exposée, d’autant plus que le réchauffement climatique aggrave ces catastrophes. Un réchauffement qui a provoqué l’apparition de cas autochtones de maladie à virus zika sur le littoral dernièrement… Logiquement, on se noie plus aussi en Paca (56 décès). Enfin, et le triste anniversaire de l’effondrement d’immeubles à la rue d’Aubagne à Marseille avec ses huit morts nous le rappelle, la précarité, la pauvreté et l’insalubrité tuent, parfois brutalement, parfois à petit feu. Une morbidité générale de plus en plus dure à accepter si l’on se fie aux réactions face à la crise sanitaire du Covid. « Nous refusons la mort, c’est vu comme un échec, éclaire le philosophe Marc Rosmini qui devait tenir ce mois-ci une conférence à Marseille dans le cadre de la semaine de la pop philosophie dédiée… aux zombies. Pourtant on joue tous avec la mort, en buvant, en fumant, en conduisant ou en faisant du sport. L’âge médian des morts du Covid est de 84 ans. C’est triste mais c’est dans l’ordre des choses. Pourtant, on ne parle que de cela, cela a un caractère obsessionnel. Sacré paradoxe. » Santé !

  1. Tous les chiffres sont issus de l’Observatoire régional de la santé, la base de donnée Sirsé Paca, la Carsat et Santé publique France.