Martine fait système

février 2020 | PAR Jean-François Poupelin
Martine Vassal est l’héritière d’une manière de gouverner la deuxième ville de France, de Defferre à Gaudin en passant par Guérini.

C’est un peu le sparadrap du Capitaine Haddock. Depuis le lancement de sa campagne, son héritage politique colle aux escarpins de Martine Vassal, la candidate LR à la mairie de Marseille. Même si le discours est rodé – « J’ai beaucoup de considération pour Jean-Claude Gaudin, mais je n’hérite pas de ses voix, il me faudra convaincre » -, difficile en effet d’effacer dix-neuf années de mandats aux côtés du sénateur honoraire, à qui elle doit son entrée en politique, dont elle a été trois fois adjointe. Et qui l’a choisi pour lui succéder.

Au-delà de l’étiquette, qu’elle porte plus à droite et plus conservatrice que son mentor, c’est peut-être plus avec « Le système G »(1), pour rependre le titre d’un documentaire sur la manière de gouverner Marseille et le clientélisme local depuis Gaston Defferre, en passant par Jean-Claude Gaudin et le sulfureux Jean-Noël Guérini, que la filiation se fait. Martine Vassal et son entourage s’en défendent. « Je pense que c’est vous, les journalistes, qui voulez me mettre dans une case », s’agace la candidate LR à la mairie de Marseille lors de ses vœux à la presse. J’ai un bilan à la métropole et au Conseil départemental, où j’ai mis fin en 2015 à un système. J’ai prouvé que je n’ai pas la même façon de travailler que Jean-Noël Guérini. »

Une « Bébé Gaudin »

« Martine Vassal n’est pas pagnolesque comme Gaudin et est moins méditerranéenne que Guérini. Elle peut être autoritaire, mais c’est une femme d’efficacité », juge avec bienveillance Jean-Marc Perrin, le président du groupe LR au conseil départemental et candidat dissident à Aix-en-Provence. Même du coté des principaux syndicats des deux collectivités, on est plutôt clément avec la candidate à la mairie. « Martine Vassal attaque le social et est dans le rapport de force, mais on a obtenu plus avec elle qu’avec la gauche, comme dernièrement sur la prime pour les contractuelles de [l’Aide sociale à l’enfance] », assure par exemple Valérie Marques, la secrétaire générale de la CGT du Département.

 

Pourtant, y compris dans le camp de la candidate, des doutes s’expriment. « C’est un bébé Gaudin », lâche ainsi un conseiller départemental de sa majorité (2). « La fin de Gaudin, c’est la fin du defferrisme, estime un proche de Renaud Muselier (2), le président LR de la Région, avant l’annonce de son soutien à Martine Vassal. Mais elle reprend le costume de Guérini de façon exceptionnelle et ne peut pas se débarrasser des élus de Gaudin ni du drame du 5 novembre [Ndlr effondrement des immeubles rue d’Aubagne], qui est le symptôme de 40 ans de l’histoire de Marseille. » En résumé, Martine Vassal représente une nouvelle génération, mais le fond ne change pas fondamentalement.

Exemple à la métropole, avec le Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI). Adopté fin décembre, il fait toujours la part belle à l’urbanisation et snobe encore le logement social, enjeu de la lutte contre l’habitat indigne et les marchands de sommeils. « Dans ce dossier, Laure-Agnès Caradec personnifie la filiation, tranche Patrick Lacoste, un des cofondateurs de l’association Un centre ville pour tous. Elle est présidente d’Euroméditerranée et adjointe à l’urbanisme de Gaudin mais aussi conseillère départementale et c’est elle qui a supervisé les réunions et les arbitrages du PLUI. » Et de poursuivre : « Le document acte la continuité de la proximité de la droite avec les promoteurs et le refus de tout rééquilibrage du logement social dans la ville. » Du Gaudin tout craché, comme l’ont déjà longuement raconté le Ravi et Mediapart.

« Vassal accroit les inégalités » Michèle Rubirola

Du côté du Département, Martine Vassal dépasse même l’ancien maître des lieux, Jean-Noël Guérini. « L’utilisation de l’argent public est fondamentale et c’est sans commune mesure avec ce qu’il faisait, assure une contractuelle sous couvert d’anonymat (2). On est en train de développer une marque, comme pour une lessive. » Pour preuve, une fameuse campagne de com’ jusque sur les boîtes à pizza, les dix meetings de sa tournée de mi-mandat ou encore la revue de la collectivité diffusée à plus de 900 000 exemplaires toute à sa gloire. « Depuis son arrivée en 2015, elle est en Une d’Accent (Ndlr, le magazine du Département) un numéro sur deux ou sur trois et de nouvelles rubriques vantent ses aides, comme celle aux commune. »

La politique du chéquier

Une ligne qui finance un peu tout et n’importe quoi et dont Martine Vassal dénonçait l’utilisation partisane pendant la campagne des départementales de 2015. Après sa victoire, la candidate LR a perpétué la pratique en inversant simplement la tendance au bénéfice des maires de droite ou affiliés.

 

« Je ne sais pas si c’était conscient ou non, mais il a fallu que j’aille voir son cabinet en 2018 pour que les choses se débloquent pour les communes de gauche », assure un maire du Pays d’Aix (2).

Un chanceux. D’autres ont du attendre une année de plus. Après sa nomination à la tête de la métropole, Martine Vassal a engagé un bras de fer avec des maires du Pays d’Arles opposés à la fusion de l’ancienne communauté urbaine avec le Département voulue par Emmanuel Macron. Une douzaine se sont vu couper les vivres, leurs interco ont été déstabilisées au moment du vote des budgets. « Contrairement à Guérini qui ne venait que pour les sénatoriales, elle, elle mélange tout », dénonce un édile du coin (2). « Il a fallu que l’on menace de faire une conférence de presse au moment de l’annonce de sa candidature, à la rentrée, pour que ça rentre dans l’ordre, raconte Hervé Chérubini, le maire DVG de Saint-Rémy-de-Provence. Il n’y a pas d’animosité, j’ai d’ailleurs remercié la présidente lors de mes vœux. Mais ça n’a pas été facile pendant deux ans, avec mon équipe et mes services. » Et ça n’est pas totalement fini, un ancien chargé de mission du CD13 soutenu par les LR et la REM se présente contre lui aux municipales…

Au-delà de cette utilisation toute personnelle de l’argent public, cette ligne a aussi explosé depuis l’arrivée de Martine Vassal à la tête du département. De 100 millions d’euros par an sous le règne de Jean-Noël Guérini on est passé, selon les comptes administratifs de la collectivité, à quasiment 160 millions d’euros par an. Soit un total de 778,3 millions d’euros entre 2015 et 2019 quand son prédécesseur s’est « contenté » de distribuer 628,5 millions d’euros entre 2008 et 2015, selon un recensement effectué à l’époque par le groupe UMP du conseil général, dirigé par Martine Vassal ! « Un nécessaire rééquilibrage en faveur de Marseille », explique la candidate. De fait, selon les calculs du Ravi, la ville obtient désormais le ratio moyen par habitant et par an, soit 54 euros. Contre 6,5 euros sous Guérini. « Martine Vassal a commencé par surfinancer Marseille, certainement avec raison, puis ça s’est accéléré. Si elle est élue, il va y avoir un pipeline ouvert vers l’hôtel de ville », rigole-t-on chez les conseillers départementaux socialistes hors Marseille.

A croire qu’il l’est déjà. De 50 millions d’euros en 2018, l’aide aux communes sur Marseille a bondit à presque 123 millions d’euros, requalification de voiries comprises, selon les délibérations de 2019 dans lesquelles le Ravi s’est plongé. Pure coïncidence certainement, sur les 68 millions d’euros fléchés sur les arrondissements, plus des deux tiers (44 millions d’euros) l’ont été dans les cinq secteurs détenus par droite. Conclusion de Michèle Rubirola, conseillère départementale EELV et tête de liste du Printemps Marseillais pour les municipales : « Alors que le CD 13 devrait permettre de réduire les inégalités, avec sa politique Martine Vassal les accroît. »

Et les opposants de Martine Vassal ont la dent dure. « Elle s’appuie pour gouverner sur le même groupe que Gaudin, des quinqua blancs qui ont réussi mais qui ne représentent pas tout Marseille, et pensent que tout va bien et qu’on ne peut pas faire autrement », s’inquiète aussi le socialiste Jean-David Ciot, maire du Puy-Sainte-Réparade et président du groupe Agir pour la Métropole. Les 25 années de gestion Gaudin prouvent pourtant qu’il y a du boulot.

1. « Le Système G », de Fanny Fontan, Romain Fiorucci et Fréderic Legrand.

2. Au cours de cette enquête ceux, notamment à droite où maires de toutes tendances des Bouches-du-Rhône, ont demandé d’exprimer anonymement leurs critiques à l’encontre de Martine Vassal.

La liste complète des aides pour 35 communes des Bouches-du-Rhône

le Ravi aime le travail de fourmi. Patiemment, il a compilé et comparé les chiffres des aides aux communes du département pour 35 villes et villages des Bouches-du-Rhône.

Les données 2008-2013 proviennent du groupe UMP, à l’époque dans l’opposition et dirigé par Martine Vassal. Pour les données 2015-2019, le Ravi s’est plongé dans les délibérations du Département et s’est concentré sur 35 des 119 communes des Bouches-du-Rhône qui représentent près des 3/4 de la population du département.

Il y en des grandes, des moyennes, des petites, de gauche, de droite et même très divers. Il y a certainement eu des loupés. A l’exception de Marseille, qui a un statut spécial, ce travail n’est donc pas exhaustif. Ce qui laisse penser que le montant global est très certainement supérieur.