La Cuisine Sens Dessus Dessous

juin 2022 | PAR Pierrick de Salvert

La Cuisine Sens Dessus Dessous se fout bien de mes angoisses. Elle est là comme un pingouin hagard qui me regarde quand j’ouvre mon frigo. Elle passe son temps à jouer, à étaler du jus de poulet sur un livre de recettes ou à danser dans le vent comme un gratte-ciel d’assiettes sales.

Elle profite de mon inattention pour interchanger les étiquettes des boîtes de légumes secs ou pour mélanger les poêles avec les saladiers. Parfois j’ai même l’impression qu’elle me manipule, qu’elle fait exprès de s’enrouler autour de moi jusqu’à ce que le carrelage devienne collant et que de la mousse se forme à la surface de la friteuse. Dans ces moments-là, piqué dans mon ego, je peux vraiment être tyrannique et intraitable. Je me souviens d’avoir carrément foutu La Cuisine Sens Dessus Dessous à la porte de mon restaurant, un matin de janvier, avec ses affaires dans un sac poubelle.

Elle est revenue bien sûr. Je l’ai retrouvée, une semaine plus tard, minuscule, roulée en boule dans un vieux reste de crème de marron, elle m’a regardé moqueuse, puis s’est changée en odeur de chou trop cuit, et a disparu entre les mailles de mon pull.

Ce ne sont là que des menus désagréments, après tout rien ne m’a obligé à cueillir La Cuisine Sens Dessus Dessous. Et puis il faut croire que j’y trouve mon compte, car je suis toujours là, devant mon plan de travail, à inventer des recettes pendant que La Cuisine Sens Dessus Dessous bat la mesure ou se roule sur le plafond comme un ange défoncé au crack, ou s’étend devant moi comme une cité pleine de mystères avec des perspectives odorantes et des néons cataleptiques.

L’autre jour, elle m’a emmené faire un pique-nique dans une zone industrielle. La Cuisine Sens Dessus Dessous avait revêtu sa queue de sirène et le nez d’Anne-Sophie Pic. Elle a étendu sur le toit d’une vieille bagnole une toile cirée à petits carreaux rouges et blancs. Elle a tiré une grosse glacière qu’elle a posé sur le capot. On s’est installé sur le toit de la bagnole pour casser la croûte. Il faisait beau, on avait bu pas mal de vin blanc et on réussissait à être assez content de notre connerie. Elle s’éclatait à prendre des poses de bimbo tandis que le soleil couchant jouait à Pac-Man dans ses écailles.

Et voilà ce qu’il arriva : une daurade au lait de tigresse !

Pique-nique de l’extrême #1 : daurade au lait de tigresse

Il vous faut pour deux personnes
– 400 gr de poisson blanc désarêté et épluché (dorade par exemple)
– 1 oignon rouge
– 6 citrons verts
– 1 bâton de citronnelle
– 1 gousse d’ail
– 100 gr de gingembre frais
– 50 cl de lait de coco
– quelques brins de persil et de coriandre
– sel
– poivre
– piment en poudre
– huile d’olive

Avant de partir en vadrouille, préparer le leche de tigre : jeter dans le blender le bâton de citronnelle, la gousse d’ail, le gingembre pelé, le jus de trois citrons verts, le piment en poudre, le lait de coco, les herbes fraîches (garder trois brins de coriandre pour la déco) et la moitié de l’oignon rouge. Saler. Poivrer. Mixer finement. Passer cette marinade au chinois et la réserver dans un tupperware dans une glacière bien froide. Ensuite aller acheter du poisson.

Trouver un endroit bien étourdissant pour pique-niquer et commencer à détailler votre filet de poisson frais en très petits morceaux, le mettre dans un saladier. L’estourbir avec le jus des trois citrons verts restants, puis l’arroser d’huile d’olive, le saler légèrement et le mélanger trois fois. Attendre trois minutes puis jeter dessus la marinade, quelques feuilles de coriandre et le reste de l’oignon rouge finement ciselé. Et déguster !

Le ceviche peut parfois se permettre d’être très piquant, on pourra pas dire que vous n’êtes pas prévenus !